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gré, et c’est seulement depuis 1830 que le sacrifice lui-même a été rigoureusement interdit sur tout le territoire de l’empire ! Ce n’était pas tout qu’on empêchât les femmes de se brûler avec le cadavre da leurs maris ; logiquement il fallait bien leur permettre de se consoler avec un autre époux, et comme les rites domestiques, dont la célébration constitue toute la cérémonie nuptiale dans le culte hindou, s’appliquent exclusivement au mariage des vierges, on voit que l’abolition des suttis soulevait la grosse question du mariage civil dans un pays où la vie sociale s’est toujours confondue avec la vie religieuse. Le gouvernement commença par tourner la difficulté en décidant que l’union d’une veuve, célébrée d’après les rites en vigueur pour le mariage des vierges, aurait tous les effets civils de ce dernier.

Ce n’était là qu’un premier pas vers l’émancipation du contrat matrimonial, et bientôt d’autres abus vinrent attirer l’attention des autorités sur les inconvéniens d’abandonner aux cultes la réglementation exclusive des mariages. Ainsi, d’après la jurisprudence de l’époque, une femme hindoue pouvait quitter son mari pour en épouser un autre, pourvu que celui-ci appartînt à un culte différent. On a cité aussi le cas d’un Anglais qui se fit musulman pour avoir le droit d’épouser une Européenne du vivant de sa première femme. De là, durant les vingt dernières années, une série de dispositions partielles, le lex loci act, le native converts’ marriage dissolution act, le Parsees’ marriage and divorce act,. etc., qui familiarisèrent les esprits avec le principe déjà déposé dans la loi sur le mariage des veuves. Enfin en 1872, à la demande même de certains Hindous, — les théistes du brahma Somaj, — le gouvernement décida d’organiser définitivement le mariage civil sous forme d’un engagement à contracter devant un officier public, indépendamment de toute cérémonie religieuse. Le recours à cette disposition resta complètement facultatif ; mais on la mettait désormais à la portée de toutes les catégories sociales, et le gouvernement profita même de l’occasion pour introduire, à l’égard de ceux qui se marieraient sous l’empire de cette loi, la prohibition des unions prématurées ainsi que de la bigamie, ces deux fléaux de la société hindoue, condamnés dès lors à disparaître avec les institutions religieuses qui les ont consacrés jusqu’ici.

Cet exemple suffit pour bien montrer l’esprit de suite et le sens pratique qui caractérisent l’action réformatrice de l’Angleterre dans l’Inde. Attendre, pour légiférer, la réclamation pressante des intéressés, — débuter par une suite de dispositions partielles et provisoires avant de formuler le principe dont elles s’inspirent dans une loi universelle et définitive, — procéder, en un mot, non de la théorie à l’application, mais du particulier au général, — telle nous