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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/664

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marché sa régénération nationale. D’une guerre dont l’issue ne lui coûta que des sacrifices d’amour-propre, d’une paix dont les clauses humiliantes ont été rapidement effacées, il ne lui est resté qu’une durable transformation intérieure.


II

C’était un mouvement national qui, sous la pression d’une défaite, poussait de toutes parts à l’émancipation ; la nation devait-elle prendre à l’œuvre même une part directe ? Allait-on comme Catherine II, et dans un dessein mieux défini, réunir les députés des différentes provinces et des différentes classes de l’état en une sorte d’états généraux ? Quelques esprits le pensaient. Plusieurs personnes annonçaient qu’en dédommagement de la perte de ses serfs, la noblesse allait recevoir des droits politiques, et que de l’émancipation sortirait une constitution. En dépit des apparences, il est probablement heureux que les choses ne se soient point passées ainsi, qu’au lieu de faire délibérer directement des députés de la noblesse ou des autres classes, le gouvernement les ait simplement interrogés par voie consultative. Pour être efficace, pour être équitable, une assemblée eût dû comprendre à la fois des représentans des deux intérêts opposés, des représentans des serfs et des anciens seigneurs, et les premiers ne pouvant être appelés à délibérer sur leur avenir, il y aurait eu injustice à remettre la discussion aux seuls propriétaires. Une assemblée où eût nécessairement dominé l’un des deux élémens hostiles eût difficilement échappé à l’alternative d’un replâtrage aristocratique ou d’une loi agraire. Entre le paysan et le pomêchtchik, il n’y avait qu’un juge naturel, un arbitre désintéressé, la couronne. C’était une de ces situations où une monarchie élevée au-dessus de toutes les classes et fidèle à sa mission d’impartialité est la plus apte à trouver une solution équitable. Les assemblées de la noblesse des diverses provinces furent appelées à examiner la question et à donner leur avis, mais la rédaction du projet de loi fut confiée à une commission nommée directement par le souverain. Cette commission, composée des hommes les plus distingués, des esprits les plus actifs, mit au jour un projet bien autrement libéral, bien autrement favorable au peuple, que les vues adoptées par la plupart des assemblées de propriétaires. Les décisions en furent même jugées si démocratiques que des influences de cour en firent modifier certaines clauses, et aujourd’hui même que l’opération est en voie d’achèvement, une partie du monde officiel tend plus ou moins ouvertement à réagir contre certaines des conditions de l’acte d’émancipation.

L’œuvre accomplie par les Russes n’était pas sans exemple, sans