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population, et en dépit de la fréquente homogénéité et du peu de complexité du sol russe, cette seule opération exigeait un travail colossal. Il a fallu ensuite prendre en considération les rapports établis par la coutume et la loi entre le maître et le paysan. On fut ainsi obligé de recourir à plusieurs règlemens distincts. La Petite-Russie, la Lithuanie et les anciennes provinces polonaises eurent des règlemens particuliers, et dans la plus grande partie de ces contrées, l’opération du rachat fut précipitée et rendue obligatoire à la suite de l’insurrection polonaise de 1863. La Grande-Russie avec la Nouvelle-Russie, 34 gouvernemens formant plus des deux tiers de la Russie d’Europe ont été, pour le besoin de l’opération, divisés en trois larges bandes, en trois longues zones parallèles selon la nature du sol ou la diversité de la population : la zone des terres diverses, ou zone du nord, comprenant les terres les plus pauvres, la zone des terres noires, comprenant les terres les plus riches, et la zone des steppes, comprenant les terres les moins peuplées. Chacune de ces grandes zones a été elle-même subdivisée en une dizaine de régions, et dans chacune des 29 régions ainsi formées on a fixé un maximum et un minimum des terres à concéder aux anciens serfs, le maximum étant le chiffre le plus élevé auquel pussent prétendre les paysans, le minimum, le chiffre le plus bas auquel ils pussent descendre. En prenant la moyenne de ces différentes régions, l’allocation réglementaire est de 3 ou 4 dessiatines par tête de paysan mâle. Elle monte jusqu’à 7 dessiatines dans le nord, jusqu’au dessus de 10 dans les steppes du sud, et descend à 2 dessiatines et au-dessous, dans les riches contrées de la terre noire, du tchernozem[1]. Une famille comptant trois âmes, c’est-à-dire trois membres mâles, doit ainsi recevoir en moyenne une douzaine d’hectares, ce qui dans la plupart des contrées est largement suffisant à l’entretien d’une famille, et correspond en général à la quantité de terre dont les paysans avaient la jouissance au temps du servage. Il s’en faut cependant que tous les anciens serfs soient dans une aussi favorable situation. En mainte région, la concession territoriale a été manifestement trop faible, dans d’autres elle a, grâce au taux du rachat, été manifestement onéreuse pour le paysan.

  1. La dessiatine vaut 1,09 hectare. Le prix du rachat a été calculé moins sur la valeur vénale de la terre cédée que sur le montant de la redevance payée par le serf pour la terre dont son maître lui laissait la jouissance. Le taux du rachat s’établit on capitalisant à 6 pour 100 le montant de la redevance payée en espèces, autrement dit en multipliant par 16 2/3 le chiffre de cette redevance. De là vient qu’ici, dans les terres noires surtout, le taux du rachat a été inférieur à la valeur vénale du sol, et là au contraire, généralement dans les terres ingrates, il a été supérieur.