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avec la conduite qu’observa en 1866 l’empereur Napoléon III. Tout en proclamant son désir de maintenir la paix, il a fait tout ce qui était en lui pour amener à point le conflit entre la Prusse et l’Autriche, se flattant d’y trouver son agrandissement ; son mauvais sort a voulu qu’il fût entravé dans sa manœuvre par ses sympathies italiennes et par le Mexique, ce pesant boulet qu’il traînait à son pied. Quand le moment d’agir est venu, il a du se croiser les bras, il est demeuré neutre, il a manqué l’occasion. La politique allemande n’a point de sympathies qui la gênent, elle ne traîne à son pied aucun boulet, elle n’a aucun Mexique, elle dispose d’un outil excellent et formidable, qu’elle a eu soin de remettre à neuf en le perfectionnant. Elle a très habilement préparé le terrain, où elle peut aujourd’hui manœuvrer à son aise. Elle calcule ses chances et ce qu’elle peut gagner à faire cause commune avec la Russie ou à se coaliser avec l’Angleterre et l’Autriche contre son vieil allié. Lorsque la situation sera mûre, elle prendra brusquement son parti, elle prononcera son arbitrage, et elle se mettra du côté du plus offrant. — Les pessimistes ont aujourd’hui l’oreille du public. L’Europe est sujette à des attaques de nerfs, et quand ses accès la prennent, elle sent peser sur elle à travers l’espace les ailes étendues d’un oiseau de proie qui, l’œil ouvert, la plume au vent, plane dans la nue et guette l’occasion.

Nous voulons croire que ces appréhensions sont vaines et que l’événement les démentira. La situation est bien compromise ; cependant les soldats turcs l’ont améliorée en quelque mesure. Quelque intérêt qu’on puisse avoir pour les Serbes, on ne peut se dissimuler que, s’ils avaient été victorieux, un soulèvement eût éclaté de toutes parts en Turquie et que les conséquences en auraient été désastreuses. Le moyen d’échapper alors au danger d’une occupation commune par la Russie et par l’Autriche ? On a vu dans les provinces de l’Elbe à quoi mènent les occupations communes. Elles aboutissent à un condominium, à une convention de Gastein, et même en faisant des détours, il ne faut pas beaucoup de temps pour aller de Gastein à Sadowa. Les espérances des Serbes ont été déçues, la Turquie a montré une solidité dans la résistance à laquelle on ne s’attendait pas, et les soulèvemens qu’on prévoyait ne se sont pas encore produits. On recommence à parler de négociations internationales, de médiation ; on annonce qu’une conférence pourrait bien se réunir à Berlin et que toutes les puissances signataires du traité de Paris y seraient convoquées. Nous aimons à penser que, si cette conférence se réunit jamais, le grand arbitre qui la présidera emploiera sa prodigieuse habileté à désarmer les amours-propres, à concilier les intérêts, et qu’il mettra sa gloire à dissiper toutes les inquiétudes. Nous souhaitons que l’Europe, sur la foi de cette décisive épreuve, puisse dire avec conviction : l’empire allemand, c’est la paix.


G. VALBERT.