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même de la souveraineté, et cela est si vrai que l’état pourrait à la rigueur se dépouiller de la faculté d’enseigner directement par ses lycées, par son université, sans abdiquer cette prérogative inaliénable de conférer les titres qui ouvrent les carrières publiques, qui accréditent certaines professions libérales.

Est-ce donc une innovation révolutionnaire imaginée par la chambre des députés et par M. Waddington ? C’est au contraire, on le sait bien, un droit traditionnel, permanent, qui se transforme avec les révolutions sans périr, dont l’état ne peut pas plus se dépouiller que de bien d’autres droits qui sont sa défense contre toutes les usurpations, et nous croirions volontiers que quelques-uns des hommes qui ont repoussé dans le sénat la proposition du gouvernement auraient été les premiers à la défendre sous un régime de leur choix dont ils auraient été les ministres. Malheureusement c’est toujours ainsi. Ce qu’on défendrait si on était au pouvoir, on le combat dans l’opposition. M. Laboulaye disait l’autre jour : « Je suis un peu étonné de voir que les hommes qui combattent la liberté de l’enseignement soient si disposés à remettre au pays la nomination des maires. » M. Laboulaye avait sans doute raison de signaler cette inconséquence de l’esprit de parti, et d’un autre côté on pourrait évidemment, sans sortir du sénat, dire à d’autres hommes : « Vous voulez laisser au gouvernement le choix des maires, c’est une pensée prudente, surtout dans un pays qui n’a plus de frontières et où l’unité nationale a besoin d’être vigoureusement sauvegardée, mais en même temps vous ne craignez pas de désarmer le gouvernement d’une de ses prérogatives les plus sérieuses ! » On aurait encore raison de parler ainsi, l’inconséquence est des deux côtés, de sorte que l’état finit par se trouver dans la déplorable situation du malheureux à qui une femme enlevait les cheveux blancs et une autre femme les cheveux noirs. Lui aussi, il n’a que le choix de la manière d’être dépouillé. M. le duc de Broglie s’est amusé fort spirituellement à identifier un certain nombre de garanties et de droits qu’on réclame aujourd’hui dans l’intérêt de la société civile avec l’ancienne monarchie, et il a fait au sénat cette ironique proposition : « Puisque vous réclamez le droit public de la monarchie, voulez-vous en prendre le principe ? » Voulez-vous tout prendre, principe, conséquences, engagement et restriction, voulez-vous changer ? » Et comme le marché peu sérieusement proposé avait peu de chances d’être accepté, comme l’ancienne monarchie n’est pas près de revivre, M. le duc de Broglie vote pour les jurys mixtes, pour l’abandon partiel des droits de la puissance publique en matière de grades ! Il vote contre la proposition du gouvernement avec M. Bocher, M. Batbie, tous conservateurs et hommes d’esprit qui semblent oublier que l’état reste toujours l’état, qu’il est indépendant des partis et même des formes politiques, qu’il garde ses droits et ses conditions essentielles d’existence sous la république comme sous la