Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/773

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un homme beau, robuste, d’une tenue bienveillante et simple, quoique toujours noble et digne. Il a donc extérieurement tout ce qui plaît aux femmes, ce qui doit leur plaire en tout temps et en tout pays. J’ajoute, et ce peut être une circonstance favorable, que sa personne extérieure a déjà une certaine physionomie anglaise.

« Il s’agit maintenant d’estimer ce que vaut son esprit. Sur ce point aussi on dit beaucoup de choses à sa louange ; mais tous ces jugemens sont plus ou moins suspects de partialité, et tant que je ne l’aurai pas examiné plus longuement, je ne saurais ni apprécier sa valeur intellectuelle ni présager ce que promet son caractère. Il me paraît prévoyant, circonspect, animé déjà d’un esprit de sagesse ; mais tout cela ne suffit pas. Ce n’est pas assez de grandes capacités pour le rôle dont il s’agit, il y faut une véritable ambition avec une grande force de volonté. Suivre pendant toute sa vie une carrière politique si difficile, cela exige autre chose que de la vigueur et de l’entrain ; il y faut cette inspiration sérieuse qui d’elle-même sacrifie le plaisir à l’utilité vraie. Si la conscience d’avoir acquis une des places les plus influentes qu’il y ait en Europe ne lui donne pas à elle seule un absolu contentement, que de fois sera-t-il tenté de regretter son entreprise ! S’il ne la prend pas dès le début comme une affaire très grave, très difficile, de l’habile direction de laquelle dépendent son honneur et son bonheur, il lui sera malaisé de réussir.

« Je l’examinerai de plus près, je chercherai à le connaître de plus près. Si je trouve en lui assez de fonds pour cette lâche, ce nous sera un devoir de conscience de lui exposer sous tous ses aspects la difficulté de l’entreprise. Dans le cas où ces difficultés ne l’effraieraient point, alors s’imposeraient à lui, selon moi, deux obligations impérieuses : d’abord celle d’une éducation appropriée et logiquement conduite, en vue de sa future carrière, avec la préoccupation constante de tout ce que réclament un pays et un peuple d’un caractère si particulier ; ensuite celle de s’assurer l’affection de la princesse avant la demande en mariage et de fonder la demande sur cette affection même. »


Stockmar, en Allemand méthodique, exécuta ce programme à la lettre. Le prince Albert, sans se douter du rôle que s’était donné le docteur-diplomate, subit un examen de tous les jours et de toutes les heures. Est-il besoin de dire que l’épreuve fut victorieuse ? Stockmar fut bientôt convaincu, comme son maître, que le jeune prince était parfaitement digne du rang auquel le destinait le roi des Belges. Il ne restait plus qu’à s’occuper de l’éducation spéciale nécessaire au futur époux d’une reine d’Angleterre. Où devrait-il la recevoir ? À Cobourg, auprès de ses parens ? ou dans une grande ville d’Allemagne, à Berlin, à Vienne ? ou bien, en dehors des grandes villes,