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que très peu nos sens, et dont les vices n’attirent notre attention que le jour où le rouage s’arrête et reste immobile. Alors même qu’il ne s’agirait pas pour le prince d’une préparation expresse à sa destinée future en Angleterre, c’est encore le terrain constitutionnel que je préférerais, au point de vue de son éducation, comme bien plus instructif que l’autre. Ajoutez à cela que la tâche d’un gouvernement constitutionnel, comparée à celle de la monarchie pure, est la tâche vraiment difficile. Si donc les vues relatives à l’Angleterre ne se réalisaient pas, si le prince était appelé un jour par les circonstances à s’acquitter de la plus facile des deux tâches, l’étude qu’il aurait faite de la plus malaisée, bien loin de lui nuire, ne pourrait que lui être profitable. »


C’est ainsi que Stockmar conseillait le séjour du jeune prince à Bruxelles. Le roi des Belges fit un amendement à ce projet ; il ne voulait pas renoncer pour son neveu aux ressources de savoir que possèdent les universités allemandes ; il décida que son temps serait partagé entre Bruxelles et Bonn. Mais ce règlement de vie exigeait que le prince eût déjà fait son voyage d’Angleterre. Après avoir passé deux mois auprès de son frère le roi des Belges, le duc de Saxe-Cobourg-Gotha, toujours accompagné de ses deux fils, se rendit chez sa sœur la duchesse de Kent ; ils arrivèrent à Londres au mois de mai 1836. Ce fut alors que le prince Albert et sa cousine la princesse Victoria se virent pour la première fois. Tous deux étaient sur le point d’accomplir leur dix-septième année, la princesse un peu plus tôt, précisément dans ce mois de mai 1836, le prince un peu plus tard, au mois d’août de la même année. Le roi des Belges et le baron de Stockmar, en préparant les futurs destinées du prince Albert, s’étaient bien gardés de lui laisser soupçonner leurs desseins ; il fallait que les sympathies mutuelles du prince et de la princesse, élément nécessaire de la négociation, fussent tout à fait spontanées, pour que le roi des Belges engageât l’allaire avec succès. La princesse Victoria eut-elle l’idée que ses deux jeunes cousins pouvaient bien elle des prétendans, et qu’on les lui amenait pour qu’ils se fissent connaître ? Le prince Albert, de son côté, devina-t-il quelque chose des intentions de son oncle ? Il est bien permis de le croire, quoiqu’il n’en reste aucune trace, ni dans les lettres du prince Albert, ni dans le journal de la reine. Une seule fois, dans une des lettres que le prince a écrites de Londres à sa grand’mère, la duchesse douairière de Saxe-Gotha[1], ou rencontre le nom de la jeune princesse : « La chère tante, dit-il, — c’est la duchesse de Kent, — est excellente pour nous, et fait

  1. Il ne faut pas la confondre avec à son autre grand’mère, la duchesse douairière de Saxe-Cobourg, morte en 1831, dont il a été question plus haut.