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duchesse douairière de Saxe-Cohourg, si heureuse qu’elle fût de l’avenir assuré à son petit-fils, sentait une part d’elle-même s’en aller avec lui., Le 28, dans la matinée, quand les voitures s’ébranlèrent, elle était à une des fenêtres du palais, agitant ses bras pour un dernier adieu ; on l’entendit crier : « Albert ! Albert ! » d’une voix qui remua tous les cœurs.

Il y avait onze voitures, y compris les fourgons. Le duc régnant marchait le premier, dans son carrosse, tantôt avec l’un de ses fila, tantôt avec l’un des gentilshommes anglais ou des personnages de sa cour. Ensuite, venaient les trois voitures amenées de Buckingham-Palace, suivies de deux briskas et de plusieurs fourgons. Des seigneurs allemands, le comte Alvensleben, le comte Kolowrath, le comte Gröben, le comte Pöllnitz, d’autres encore, s’étaient joints aux représentans de l’Angleterre pour accompagner le duc et ses deux fils. Cela formait un groupe de douze personnes. Le cortège voyageait à petites journées. On coucha le premier soir à Cassel, le second à Deuz, puis à Aix-la-Chapelle, à Liège, à Bruxelles, où le roi Léopold retint les voyageurs jusqu’au 5 février. Ce jour-là, dans la matinée, on se rendit à Ostende par le chemin de fer, puis on remonta en voiture pour longer la côte, d’Ostende à Dunkerque, de Dunkerque à Gravelines et à Calais. Le 6 février, les voyageurs s’embarquèrent sur l’Ariel et se dirigèrent vers Douvres. Le temps était mauvais, le vent soufflait avec violence et contrariait la marche du navire ; cette traversée, ordinairement si courte, ne dura pas moins de cinq heures et demie.

Comment rendre l’enthousiasme qui éclata de toutes parts au moment où le fiancé de la reine mit le pied sur le sol d’Angleterre ? Le prince Albert sentit bien ce jour-là, comme il l’avait déjà soupçonné, que les chicanes du parlement n’étaient que des chicanes de forme. Sa personne était hors de cause, et si des maladresses de discussion, maladresses imputables aux whigs comme aux tories, avaient paru compromettre son nom un instant, un tel accueil ne pouvait laisser aucun doute sur les sentimens de la nation.

Il avait été décidé que le prince n’arriverait pas à Buckingham-Palace avant le 8 février ; il ne fallait donc pas employer la matinée du 7 au court trajet qui sépare Douvres de Londres, Rien n’était mieux indiqué pour les illustres voyageurs qu’une station d’un jour à Cantorbéry. Le cortège y fît son entrée vers deux heures, au milieu de hourras sans fin. Vainement, sous le coup des rafales, une pluie froide et serrée fouettait les spectateurs ; ce temps inhospitalier n’avait pu ni arrêter l’empressement de la foule ni refroidir son enthousiasme. À trois heures, le prince Albert et son frère se rendirent au service de la cathédrale. Le soir, la ville fut illuminée, et