primitives. La langue traditionnelle, sacrée, inspire trop de respect et a conquis trop d’autorité sur les lettrés pour qu’on pense à la remplacer par le dialecte vulgaire que parle le peuple ou qu’on emploie en lui parlant. En vain la langue des clercs se corrompt et devient barbare par l’introduction de mots populaires ou de constructions nouvelles ; on continue à l’écrire par une sorte d’orgueil aristocratique. Alors surgit un homme d’audace ou de génie qui emploie la langue vulgaire, c’est-à-dire écrit comme on parle, pour que sa parole écrite arrive à ses compatriotes. Cette tentative de littérature facile semble d’abord peu dangereuse aux lettrés partisans de la langue savante ; mais ceux-ci, pour ne pas être délaissés et ignorés, sont enfin forcés d’adopter eux aussi l’idiome vulgaire : une littérature est née.
Les rares Serbes qui écrivirent au XVIIIe siècle avant Obradovitch écrivaient ou le slavon liturgique ou une langue hybride dont le slavon formait le principal élément. Obradovitch n’était pas un homme ordinaire, et sa vie est toute une odyssée. On le voit successivement moine à Opovo et au mont Athos, maître dans une école grecque de Smyrne. Vivant de leçons qu’il donnait, comme ces savans grecs de la renaissance ou du commencement de ce siècle (Coray, etc.), il visite l’Italie, reste six ans à Vienne, passe de nouveau en Italie, traverse Constantinople, la Moldavie, la Russie, s’arrête deux ans à Leipzig, passe en Angleterre, revient en Allemagne, continue encore ses pérégrinations et meurt en 1811, à Belgrade, précepteur des enfans de Kara-George. Sans doute, s’il n’avait vu les villes et les mœurs de tant d’hommes, il n’aurait pas eu l’idée originale d’écrire dans sa langue sa biographie et une traduction des fables d’Ésope. L’aisance, le naturel et la simplicité toute vivante de son langage furent comme une révélation. « Ses Fables, dit un écrivain serbe, M. Soubbotitch, fondèrent pour ainsi dire la littérature serbe ; elles apprirent à parler au peuple la langue qui lui convenait… C’était, ajoute-t-il, comme si un ami de la littérature serbe avait aujourd’hui la surprise, assistant à l’Opéra, d’entendre sous la musique des paroles serbes. » L’exemple d’Obradovitch trouva aussitôt des imitateurs, et même parmi les adeptes de la langue savante : ainsi Raïtch, qui avait précédemment écrit une histoire des peuples slaves dans un saxon mêlé de bulgare et de russe, écrivait en 1802 son Zvietnik en langue populaire.
Le réformateur avait fait école. Le slavon fut laissé à l’église et à la littérature ecclésiastique. Après Obradovitch, Serbe de Hongrie, le second fondateur de la littérature serbe fut un Serbe d’outre-Save, Vouk Stefanovitch Karadjitch. Établi à Vienne en Autriche, il y publia un recueil de chants et de contes populaires, une grammaire et un dictionnaire, donna à la langue une orthographe