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lord Palmerston. Au moment même où l’Autriche s’accrochait à la Russie, comme un mauvais nageur s’accroche à un bon, il écrivait : « Il est malheureux pour l’Autriche et pour l’Europe que le gouvernement autrichien se soit placé dans la dépendance de la Russie, parce que l’Autriche est ainsi empêchée de devenir un frein pour l’ambition et l’usurpation russes. — Taisez-vous, diront les Russes, et souvenez-vous que nous vous avons sauvé du démembrement et de la ruine. — Peut-être les Autrichiens, s’ils deviennent forts, ne se soucieront guère de ces reproches. »

Pendant l’ère de réaction qui suivit Novare et la défaite de l’insurrection hongroise, Palmerston ressemble à un tambour qui bat encore la charge quand la charge est finie. Sa colère s’exhale tantôt contre l’Autriche, tantôt contre la Russie : « les atrocités commises en Galicie, en Italie, en Hongrie, en Transylvanie, ne peuvent être égalées que par ce que font les nègres en Afrique ou à Haïti ; » il invite l’ambassadeur anglais à exprimer « ouvertement » et « décidément » son dégoût pour les fouetteurs de femmes de Hongrie et de Milan. « Ne laissez pas les Autrichiens imaginer, lui dit-il, que l’opinion publique anglaise doive être cherchée dans les articles mis dans le Times par les agens autrichiens de Londres, ni dans le langage servile des lords et des ladies tories, ni dans les notions de cour des ducs royaux, des duchesses royales. »

La Russie et l’Autriche demandèrent qu’on leur livrât les réfugiés hongrois, au nombre desquels étaient Kossuth et un Zamoyski. Le sultan réclama l’appui de l’Angleterre et de la France contre les prétentions de ses puissans voisins. Si l’empereur Nicolas comparait la Turquie à un homme malade, Palmerston la comparait volontiers à une dame qui s’évanouit et à qui il faut faire mettre des sels sous le nez ; son flacon de sels, c’était la flotte anglaise. Il se dépêcha de l’envoyer dans les Dardanelles, bien que le traité de 1841 interdit aux puissances d’y envoyer leurs escadres tant que la Turquie était à l’état de paix. La France s’associa à cette démonstration avec quelque hésitation ; elle semblait « effrayée de son propre courage » (Lettre à Canning du 16 novembre 1849). Palmerston constatait pourtant avec joie que le prince-président était « disposé à suivre une politique étrangère de nature à créer une communauté de vues et d’action entre l’Angleterre et la France. » Brunnow ne défendait pas vigoureusement la conduite suivie par son gouvernement, mais essayait de montrer à Palmerston combien il était dangereux d’humilier l’orgueil de son souverain irritable : il lui offrait ainsi le régal qui pouvait lui être le plus agréable. La mortification était d’autant plus forte pour le tsar qu’elle arrivait au lendemain du jour où il était intervenu comme un Deus ex machina dans les affaires de l’Autriche et s’était montré à l’Europe