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Anglais appellent matter of fact, de fibre rude, matérielle, d’autant plus redoutable que sa brutalité savait très bien servir sa ruse, et que sa bonne humeur simple et facile, sa rondeur d’homme du monde, couvraient l’esprit le plus souple, le plus délié, le plus fécond en ressources, en inventions, appliqué à suivre à travers tous les incidens, tous les accidens, quelque objet invisible à tous.


II

Lord Palmerston n’avait pas vu tomber sans une joie mal dissimulée le trône constitutionnel de 1830 ; il avait eu des éloges méprisans pour les grands politiques que le hasard avait jetés au pouvoir, et il n’avait jamais cru à la durée du régime nouveau. Il n’était pas difficile de comprendre qu’une constitution qui faisait sortir du suffrage universel direct une assemblée unique et un président, était une œuvre mort-née. Quand le conflit entre ces deux pouvoirs éclata, Palmerston en surveilla les phases avec attention. Il n’avait pas recherché l’intimité du prince Napoléon pendant que celui-ci était en Angleterre, mais il n’ignorait pas qu’il y avait une grande force dans le nom de Napoléon, et il admirait instinctivement toutes les forces. Il savait le prince « anglomane, » il connaissait beaucoup ses amis personnels, il le préférait à ceux qu’on nommait à cette époque les « burgraves, » aux anciens parlementaires français. Dès le 24 janvier 1851, il écrivait à lord Normanby : « Si j’étais le président, je ne me soucierais pas que l’assemblée soit ou non avec mes ministres, qu’elle censure ou approuve leur conduite. Je dirais à l’assemblée : je ne puis me débarrasser de vous, et vous ne pouvez vous débarrasser de moi, et votre censure ne change point mon sentiment sur mes propres actes. De ces actes, je suis responsable non pas devant vous, mais devant la France. » Il ajoutait qu’il n’y avait aucune analogie entre la constitution anglaise et la nouvelle constitution française, ce qui n’était que trop évident.

Le prince-président caressait déjà Palmerston et faisait des approches habiles de son côté, il ne perdait pas son temps ; le 20 novembre, Palmerston écrivait à l’ambassadeur d’Angleterre : « Il me semble que Louis-Napoléon est maître du champ de bataille, et que la journée sera pour lui. J’ai toujours pensé que ce résultat serait le meilleur pour la France et pour l’Angleterre ; il n’y a en ce moment aucun homme capable aux affaires en France, et si Louis-Napoléon finit par fonder une dynastie, je ne vois pas qu’il y ait lieu de le regretter, en ce qui concerne les intérêts anglais. La famille des Bourbons a toujours été hostile à l’Angleterre, et les membres de cette famille qui ont contracté vis-à-vis de nous les plus grandes