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alors au comble de la puissance : son prestige était tel que les libéraux avaient la complaisance de différer d’année en année la réforme électorale, pour ne pas le contrarier, car il était toujours resté un levain tory dans son cœur, et il avait horreur du vote secret, de l’extension du suffrage électoral, de toutes les fadaises libérales. Son salon hospitalier était devenu une véritable cour, les souverains de tous les pays avaient des hommages raffinés pour ce vieillard énergique qui semblait personnifier l’Angleterre ; il passait aux yeux des ambassadeurs pour connaître les pensées les plus secrètes de ceux qui tenaient alors le sort du monde dans leurs mains. Les radicaux prisaient en lui une sorte de rudesse un peu plébéienne, sa raideur avec les princes, son dédain pour les « idoles de théâtre. » Il semblait devenu un de ces arbitres de l’humanité qui tiennent dans leurs mains la guerre et la paix, le présent et l’avenir des nations, plus puissant que les rois et les empereurs, despotes après avoir été longtemps courtisans de l’opinion. Tout ce prestige, enveloppé par tout ce qu’une aristocratie nombreuse et forte peut accumuler de richesse, de beauté, de splendeurs matérielles et visibles, ne faisait pourtant que masquer et pour ainsi dire farder l’affaiblissement visible de la puissance anglaise. Toutes sortes de grandeurs nouvelles emplissaient la vue de l’Europe ; personne n’avait plus activement que Palmerston contribué à ébranler le vieil édifice européen, à répandre l’esprit de dénigrement, qui devient si vite l’esprit de révolution. Pour qui n’avait-il pas eu des insultes ? qu’avait-il ménagé ? Il avait toute sa vie parlé du respect des traités, et qui avait témoigné plus de joie en voyant déchirer des traités ? L’esprit d’usurpation et de conquête était entré dans l’Europe et n’en devait plus sortir qu’après avoir tout bouleversé ; Palmerston le sentait et il prenait la peine de réfuter les rêveries de Cobden, quand celui-ci lui envoyait des « mémorandums » sur des projets de désarmement universel. « L’homme, écrivait-il à Cobden, est un animal qui se bat et qui se querelle. » (Piccadilly, 8 janvier 1862.) Qui avait été plus querelleur que Pam ? Mais le temps était venu où il fallait non plus seulement se quereller, mais se battre, et l’Angleterre pouvait-elle se battre ? Lord Russell cherchait à se persuader à lui-même et à persuader à son pays qu’il avait délivré l’Italie en écrivant des dépêches : Palmerston ne cessait de représenter l’occupation de Rome par une petite armée française comme un danger pour le nouveau royaume créé par nos armes, et accru par notre permission. Il ne savait plus que murmurer et se plaindre. Quand il apprend l’insurrection polonaise, il écrit à son ami Brunnow (4 février 1863) pour lui dicter des sortes de conditions : « Quant au gouvernement russe, je considère ces insurrections comme une juste punition du ciel