mouvement socialiste qui remua les classes ouvrières en France pendant les dernières années du règne de Louis-Philippe, et surtout après 1848, n’avait trouvé que peu d’échos au-delà du Rhin. Les pays allemands, sauf Bade, n’étaient pas du tout préparés à le comprendre. Les institutions de l’ancien régime avaient en partie disparu, mais leur esprit et leur influence y dominaient encore. Les artisans étaient soutenus et contenus par les corporations de métiers. La grande industrie débutait. Les ouvriers des campagnes étaient aussi soumis aux seigneurs que les serfs leurs prédécesseurs. Le prolétaire moderne était presque inconnu. Les classes inférieures n’avaient point l’idée qu’elles pussent un jour acquérir le droit de suffrage et jouer un rôle politique. Ne s’imaginant pas que leur sort pût être différent de ce qu’il était, elles s’y résignaient comme au moyen âge. L’ouvrier français, au contraire, était rempli des souvenirs de la révolution française. Ses pères avaient été les maîtres de l’état ; pourquoi ne le serait-il pas à son tour ? Il était le peuple souverain ; ce souverain, le seul vrai, devait-il vivre dans la misère ? L’ouvrier allemand avait la vie bien plus dure ; mais n’était-ce pas là. son lot nécessaire ? Il ne pouvait se souvenir ni de l’égalité des conditions basée sur la propriété collective de la Germanie primitive, ni du soulèvement des paysans au XVIe siècle, si vite noyée dans le sang. Se ressentant encore du joug de plomb qui s’était appesanti sur l’Allemagne à la suite de la guerre de Trente ans, il naissait à peine à la vie moderne : nul esprit de révolte, nulle aspiration vers un ordre meilleur ne l’agitait. Le mot de Lassalle était vrai : tandis que l’ouvrier anglais et français ne rêvaient que réformes, à l’ouvrier allemand il fallait d’abord démontrer qu’il était malheureux. Aussi les premiers écrits socialistes qui parurent eurent-ils peu de retentissement.
C’est de France que vinrent les idées de réforme et de révolution sociale. Karl Marx, le plus instruit des socialistes allemands, le reconnaît lui-même. « L’émancipation de l’Allemagne sera celle de l’humanité tout entière, écrivait-il dans un recueil dont quelques numéros parurent à Paris en 1844 ; mais quand tout sera prêt en Allemagne, l’insurrection n’éclatera qu’au chant de réveil du coq gaulois[1]. » Le premier en date est le tailleur Weitling, qui s’était pénétré des idées de Fourier et de Cabet. Il travailla pendant plusieurs années à les répandre en Suisse et dans l’Allemagne du sud. En 1835, il publie un premier écrit intitulé : l’Humanité, ce qu’elle est et ce qu’elle devrait être (Die Menschheit wie sie ist und sein soll). En 1841, il fait paraître à Vevey un journal allemand, où il pousse
- ↑ Voyez les Deutsch-Französische Jahrbücher, publiés par Arnold Ruge et Karl Marx, avec le concours de Hess, Engels, Herwegh et Bruno Bauer.