Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une amphibologie qu’on n’a jamais réfutée parce qu’elle est très spécieuse. Voici où est la méprise : par eau, dans le premier sens, on entend l’eau en général, l’élément, et dans ce sens elle est de la plus grande utilité ; mais elle est aussi de la plus grande valeur, car un individu perdu dans le désert, une ville assiégée, un pays ruiné par la sécheresse, donneraient tout pour se procurer de l’eau. Quand on dit que l’eau n’a pas de valeur, on entend une certaine quantité d’eau, et dans ce sens elle a aussi très peu d’utilité. Que vaut un seau d’eau au bord de la rivière ? Rien, la peine de le prendre ; à un quatrième étage, il vaudra quelques centimes représentant le salaire du porteur qui l’aura monté ; au sein du Sahara, pour le voyageur qui ne peut à aucun prix en obtenir d’autre, il vaudra tous les millions de la terre ; sa valeur croîtra dans la mesure de la rareté ou à proportion de la difficulté de le remplacer. On peut donc dire, en conservant aux mots leur sens habituel, qu’un objet a d’autant plus de valeur qu’il est plus utile, soit parce qu’il répond au besoin existant, soit parce qu’il dispense du sacrifice d’argent ou d’efforts qu’il faudrait faire pour s’en procurer un pareil. Dans toute valeur, il y a du travail, parce que l’homme doit au moins cueillir le fruit que la nature lui offre, mais la valeur n’est pas en proportion du travail, parce que, s’il cueille une noisette, il aura une valeur bien moindre que s’il détache un régime de bananes.

Marx prétend que la valeur de la force de travail du salarié est égale à ses frais de production, c’est-à-dire à l’entretien de l’ouvrier et par conséquent aux heures de travail « socialement » nécessaires pour reproduire cet entretien. S’il en est ainsi, on ne voit pas pourquoi Marx fait le procès au capital, qui paie le travail à sa juste valeur en lui donnant le « salaire nécessaire » de Ricardo. La vérité est que la valeur du travail est comme celle de toutes choses, en proportion de son utilité. Dans une verrerie, le chauffeur recevra 4 francs par jour, le souffleur de verre 6, 8, 10 francs, le graveur habile 13 et 14 fr. ; les tailleurs de diamant à Amsterdam en touchent 30 ou 40. Les frais d’entretien de ces diverses catégories d’ouvriers sont à peu près les mêmes ; mais la valeur de leur travail et par conséquent de leur produit diffère beaucoup, et elle est d’autant plus grande que leurs aptitudes sont plus rares et plus recherchées. Je veux retirer du fond de l’eau un coffre renfermant 1,000 kilogrammes d’argent : seul, je ne le puis. Quelqu’un se présente pour m’aider, mais il ne veut le faire qu’à la condition de partager le contenu du coffre. Si je ne puis trouver aide ailleurs, j’y consentirai, car j’y trouverai encore un grand avantage. La valeur du travail pour le maître est donc égale au profit qu’il en tire, et s’il y est contraint par la rareté des bras, c’est cela même qu’il