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— Eh bien, après ?

— Après ? j’ai grandi !

— Grandi ! vraiment ? Est-ce que je n’ai pas descendu les ourlets et ajouté trois doigts de ficelle à la ceinture ? Tu me ruineras en nippes.

Olly partit d’un éclat de rire ; comme il s’était mis cependant à travailler sans répondre, on vit soudain surgir ide la toile une petite tête bouclée, puis une fillette de sept ou huit ans toute frêle, couverte de la plus sommaire des robes de nuit, vint se blottir dans le gilet du grand frère,

— Veux-tu t’en aller ! dit Gabriel d’une voix sévère, tandis que son visage annonçait trop clairement qu’il était désarmé. Va-t-en, petite folle ! Qu’est-ce que cela te fait à toi que je me tue pour t’habiller de soie et de satin ? Tu iras, ma foi, tremper tout cela dans le premier fossé venu ! Tu n’entends rien à la toilette, Olly ; il n’y a pas huit jours que je t’ai refait tout cela pour ainsi dire à chaux et à ciment, et regarde ! — Il secoua la jupe avec indignation. Olly prit pour point d’appui de sa petite tête la poitrine herculéenne de Gabe et se mit à tourner autour de lui, comme si elle eût voulu pénétrer dans ses sentimens les plus intimes.

— N’as-tu pas honte., vieux Gabe : n’as-tu pas honte ! Gabriel ne daigna point répondre, mais continua sa reprise dans un majestueux silence.

— Qui as-tu été voir en ville ? demanda Olly sans se déconcerter.

— Personne.

— Tu mens ! J’ai senti les drogues et la farine de moutarde, dit Olly en secouant la tête, tu as encore été voir les nouveaux émigrans qui sont malades.

— A propos ! tu me feras penser à leur porter demain des hardes, Olly.

— Gabe ! sais-tu ce que Mme Markle dit de toi ? demanda la petite fille, se redressant soudain.

— Non.

— Elle dit que tu as bien plus besoin que tous ces gens-là qu’on s’occupe de toi, et que j’aurais besoin, moi aussi, d’être menée par une femme.

(Mme Markle est une aubergiste, une veuve accorte que miss Olly s’est mise en tête de faire épouser à son grand frère).

Gabriel interrompit sa reprise, laissa tomber le jupon, et, prenant la tête bouclée de sa sœur entre ses genoux, une main sous le menton, une autre sur ses cheveux, tourna vers le sien le visage de la petite espiègle. — Olly, dit-il gravement, quand je t’ai tirée de la neige, quand je t’ai portée sur mon dos jusqu’à la vallée,