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matériaux pour la construction de l’édifice humain, La formation de l’individu, tel est le fait dominant qui caractérise cette première période de l’existence. C’est vers ce but suprême que convergent toutes les forces organiques emmagasinées dans le jeune être. Cette loi a pour résultat immédiat ce que Darwin appelle le combat de la vie, c’est-à-dire une lutte incessante de l’homme contre les élémens de la nature ambiante, lutte qui devient, il est vrai, la source des sentimens égoïstes, mais qui constitue la trame première de l’activée humaine, par suite de la civilisation.

A peine la période de formation touche-t-elle à son terme, que des modifications physiologiques d’une nature spéciale, les phénomènes de la puberté, se présentent chez les deux sexes. Tous deux éprouvent une attraction sympathique l’un pour l’autre, le besoin de s’unir. C’est un nouvel instinct qui s’éveille et qui vient prendre place parmi les composantes de la vie humaine. La première résultante est la famille, d’où sortira la tribu chez les races inférieures, la nation chez celles qui sont mieux douées et mieux servies par les circonstances. En effet, supposons une contrée fertile où croissent les céréales, où l’agriculture est largement développée, où l’abondance et la sécurité invitent au bien-être. La mère, n’étant plus dominée par le souci des besoins journaliers, donne plus de soins à l’enfant, le garde plus longtemps avec elle, lui prodigue toutes les caresses de l’amour maternel. Ces caresses répercutées sur le jeune être appellent l’amour filial, qui, s’agrandissant et sortant bientôt du cercle de la famille, développe les sentimens affectifs, les instincts altruistes, pour me servir de l’expression de l’école positiviste. Cet altruisme, correctif de l’égoïsme, qui est une des fatalités de notre nature, épure l’idée de droit et précise l’idée de devoir. De l’équilibre de ces notions primordiales sortira l’idée de justice, base de toutes es sociétés humaines et un des traits caractéristiques des races nobles.

Cependant l’enfant grandit, arrive à l’adolescence, entre dans l’épanouissement de ses facultés viriles. Il sent alors qu’il n’est que la moitié d’un tout harmonique, et, suivant la belle image de Platon, il se met à la recherche de cette autre moitié dont une divinité jalouse l’avait séparé. Le courant magnétique que nous avons vu entre la mère et l’enfant s’établit de nouveau entre les deux moitiés allégoriques du mythe platonien. Les mystérieuses effluves allant sans cesse de l’une à l’autre parcourent rapidement la gamme des affections humaines et atteignent bientôt cette note suprême qu’on peut définir l’ivresse du cœur. C’est la plante qui, au moment de la floraison, appelle à elle toutes les forces vives de la sève et les concentre pour en faire jaillir les couleurs éclatantes de la