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bien-être. Un sauvage de l’époque préhistorique peut ébaucher dans un bois de renne l’esquisse d’un mammouth ou d’un ours des cavernes, mais un monument digne de passer à la postérité ne peut être élevé que par une cité puissante et riche. Or toute richesse suppose une accumulation de travail, c’est-à-dire le labeur séculaire des générations.

Est-il besoin de dire que la floraison esthétique d’un peuple dépend autant des influences du milieu ambiant que du génie de la race ? Un sol plat, ne renfermant ni la pierre ni le métal, se prête peu à l’épanouissement de l’art. L’architecture et la sculpture y sont impossibles, la poésie et la peinture chercheraient en vain des inspirations sous un ciel sans caractère, n’offrant d’autres lignes qu’un horizon sans perspectives. La zone torride et les régions boréales ne sont guère plus propices ; l’intelligence s’y atrophie, ici par la rigueur du froid, là par un climat énervant. L’activité cérébrale ne peut mettre en jeu toutes ses énergies qu’à la condition d’avoir pour théâtre un pays dont le climat tempéré stimule l’homme au lieu de l’énerver, dont les montagnes soient riches en carrières de pierre et en minerai de fer, dont le ciel présente un certain caractère de grandeur. C’est aux marbres de Paros et de Carrare que la Grèce et l’Italie doivent en partie les merveilles de leur statuaire, et n’est-ce pas des splendeurs magnifiques de leur ciel que la poésie et la peinture tirent la pureté de leurs lignes et la richesse de leur coloris ?

Des influences d’un autre ordre peuvent arrêter ou retarder l’éclosion des arts plastiques. L’Hindou, porté par le climat à l’extase, perd dans la contemplation incessante de l’infini le sentiment du nombre, de la mesure, qui est l’essence de l’art. Ses temples sont des hypogées où règne la terreur, ses statues des idoles monstrueuses, ses poèmes le récit interminable de ses visions panthéistiques. Son imagination, toute entière aux fantômes qui l’obsèdent, n’a pu jusqu’ici donner l’essor aux facultés esthétiques. Le même phénomène s’est produit dans l’Italie ancienne, mais pour des causes inverses. La Rome des consuls ne connut les beaux-arts que par les emprunts faits à la Grèce. Les esprits, uniquement tournés vers les armes, dédaignaient de pratiquer les arts de la paix et laissaient ces soins aux esclaves et aux vaincus de l’Achaïe ; mais lorsque dans les temps modernes l’Italie, redevenue maîtresse de ses destinées, put donner libre essor à son génie, elle obtint rapidement dans le domaine de l’art la gloire qu’elle s’était acquise dans la carrière des armes, et devint pour l’Europe ce que la Grèce fut autrefois pour elle, la terre classique des beaux-arts.

Inutile d’ajouter que, parmi les influences qui peuvent favoriser