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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/203

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noms illustres de l’Espagne, qui était, il y a trois siècles, la première nation du monde et dont la littérature inspira longtemps la nôtre.

Comment expliquer l’inégal développement que présente l’esprit scientifique dans la France du nord et dans la France du midi ? Les caractères tirés de la diversité des races ne suffisent pas pour rendre compte de ce fait, car les différentes tribus qui peuplèrent la Gaule ont été par le travail des siècles mélangées et fondues en un tout homogène qui constitue la nation française. Ici encore c’est au mouvement accompli dans les sciences naturelles pendant ces dernières années que nous devons le mot de l’énigme. Reportons-nous en effet au commencement du XIIIe siècle, au moment où l’esprit d’examen, se réveillant dans le midi de la France, venait de produire l’hérésie des Albigeois. La mode était alors aux croisades. Après en avoir prêché une contre les infidèles, le pape Innocent III en prêcha une seconde contre les hérétiques et chargea un de ses légats de suivre les croisés pour les empêcher de faillir à leur besogne. On sait qu’ils la menèrent si bien, qu’à Béziers, se trouvant embarrassés pour distinguer les orthodoxes des excommuniés, ils massacrèrent tout, laissant à Dieu, d’après les conseils du légat, le soin de reconnaître les siens. L’inquisition, établie vers la même époque, fut chargée de compléter l’œuvre en étouffant dès sa naissance tout germe d’hérésie nouvelle. Si on se rappelle que c’était la partie éclairée de la population qui discutait les dogmes, on verra qu’une telle extermination réalisait, d’après une expression empruntée à la terminologie darwinienne, une véritable sélection anti-intellectuelle.

Au XVIe siècle, la réforme fut une nouvelle application du principe sélectif, car c’étaient encore les classes lettrées qui se trouvaient à la tête du mouvement, et ce fut surtout le midi de la France qui eut à souffrir. Dans la seule ville de Toulouse, près de quatre mille protestans, appartenant pour la plupart à l’élite de la population, furent massacrés, comme le témoignait un jubilé séculaire aboli il y a une dizaine d’années. La Saint-Barthélémy, et plus tard l’émigration amenée par la révocation de l’édit de Nantes, furent des sélections appliquées sur une plus grande échelle. En Espagne, l’œuvre d’épuration fut encore plus complète. Après avoir expulsé les Juifs et les Maures, l’inquisition mura si bien les portes de la Péninsule que la réforme ne put y pénétrer, le quemadero arrêtant court l’hérésie avant qu’elle eût le temps de se produire. Ainsi s’explique la progression décroissante qu’on observe dans la marche de l’esprit scientifique, des bords du Rhin aux bords de l’Èbre. La science, qui dans la France du nord occupe le rang qui lui appartient, s’affaiblit visiblement dans le midi, et semble s’évanouir dès qu’on franchit les Pyrénées. Presque tous les traités scientifiques que j’ai rencontrés en Espagne, en Portugal, ainsi que