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fonds de réserve, qui s’élève à 24,416,257 yen, consiste lui-même pour la plus grande partie en papier retiré de la circulation ; c’est donc une valeur fictive d’environ 475 millions de francs qui circule et remplace absolument la monnaie d’or et d’argent, sans autre garantie que le crédit de l’état qu’elle déprécie considérablement. L’habitude du papier-monnaie est tellement invétérée chez les Japonais, qu’ils acceptent très volontiers cet état de choses ; mais les paiemens à faire au commerce étranger ne peuvent s’exécuter qu’en numéraire, et il en résulte un appauvrissement inquiétant du stock métallique : il est sorti 9,455,274 yen des divers ports du Japon, contre 86,544 entrés pendant les six premiers mois de 1875.

Les budgets s’équilibrent-ils ? s’équilibreront-ils longtemps ? Telle est la première question qu’on se pose devant cet exposé financier. Le ministre des finances actuel, comme on vient de le voir, répond en annonçant un excédant de recettes ; son prédécesseur répondait en avouant un déficit annuel de 10 millions de yen et en pronostiquant la banqueroute à courte échéance, après quoi il donnait avec fracas sa démission, accompagnée d’un mémoire qui présentait un tableau sanglant du désordre des finances. Entre les deux ministres, nous ne déciderons pas ; mais le fait suivant permettra au lecteur de se figurer l’état réel des choses. Dans le budget de 1874, on présentait le fonds de réserve, porté alors à 30,394,000 yen, comme formé en partie de l’emprunt de 2 millions sterling contracté à Londres, et en même temps on déduisait de ce fonds de réserve les intérêts de la dette, de sorte que le Japon apparaissait comme un débiteur qui contracte un nouvel emprunt pour payer l’ancien, à la façon de la Porte. Cet article des intérêts a été porté avec raison, dans le dernier budget, au compte des dépenses ordinaires couvertes par les recettes ordinaires ; mais on peut juger par là une comptabilité sujette à de pareilles méprises.

L’équilibre budgétaire fût-il établi, ce qui reste douteux, le gouvernement ne serait pas encore au bout de sa tâche. Il ne faut pas oublier en effet que le Japon est entré dans une voie de développement où il ne peut s’arrêter à moitié chemin ; il est déjà trop engagé avec les prêteurs européens pour leur fermer la porte au nez et revenir à son ancien isolement ; il est donc condamné à surmener sa production pour faire face à ses obligations, et à maintenir ses dépenses sur le pied qu’exigent ses relations européennes et ses projets de perfectionnement national. C’est ainsi qu’il doit entretenir, une armée, se créer une marine, étendre l’instruction publique, les travaux d’utilité générale, faire face peut-être à une guerre prochaine avec la Corée ou la Chine, se libérer d’une manière ou d’une autre envers les samurai pensionnés, etc. En un mot, sous peine de retomber dans un état de faiblesse où son indépendance