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un droit considérable sur le whiskey et tous les spiritueux. Ce droit n’avait guère donné que le quart du produit que l’on en attendait, et il avait été élevé de 50 pour 100, sans que la recette eût sensiblement augmenté. Ce mécompte ne pouvait être attribué au ralentissement de la consommation par suite d’un renchérissement excessif des spiritueux. Il était manifeste que la consommation n’avait pas diminué : les spiritueux se vendaient partout au même prix qu’avant l’établissement de l’impôt ; le whiskey notamment se vendait en gros à un prix inférieur au montant du droit qu’il avait dû acquitter au sortir de la distillerie. La fraude pouvait seule expliquer un pareil fait, et une fraude si générale et sur une échelle si gigantesque qu’il fallait que l’administration en fût complice. M. Bristow, nommé secrétaire de la trésorerie, c’est-à-dire ministre des finances, en 1874, voulut avoir la clé de ce mystère. Une enquête, conduite dans le plus grand secret par des agens de confiance, lui fit acquérir la certitude que le trésor public était victime d’une vaste association de fraudeurs, dont les chefs occupaient des emplois élevés dans l’administration des finances et se croyaient assurés de l’impunité par leurs relations avec des personnages puissans. Les agens des finances traitaient directement avec les distillateurs ; tantôt les chefs d’établissement donnaient à des prête-nom qu’on leur désignait, des actions ou des parts d’intérêts, et alors une distillerie fonctionnait nuit et jour, sans que le fisc parût en soupçonner l’existence ; tantôt ils prenaient une sorte d’abonnement, et, moyennant une somme déterminée dont la moindre partie était versée au trésor, l’établissement pouvait livrer à la consommation des quantités illimitées de spiritueux. Les employés des finances qui voulaient faire leur devoir étaient impitoyablement destitués ; les autres recevaient des gratifications proportionnelles à leur grade. Aucun distillateur ne pouvait se refuser au marché qui lui était proposé ; les droits lui eussent été appliqués dans toute leur rigueur, et il eût été écrasé par la concurrence des établissemens voisins.

Avant de faire usage des révélations qu’il avait obtenues et de saisir les tribunaux, M. Bristow crut devoir remettre au président une note confidentielle. Il y faisait connaître le préjudice causé au trésor et la nécessité de l’arrêter ; il y exprimait aussi l’appréhension que les investigations de la justice n’aboutissent à mettre en cause des personnes haut placées et ne jetassent ainsi un nouveau discrédit sur le parti républicain. Le président retourna le mémoire à M. Bristow, après avoir écrit en marge : « qu’aucun coupable n’échappe si la loi peut l’atteindre. » M. Bristow instruisit alors le président de la marche que les conseils judiciaires de la trésorerie comptaient suivre ; il convint avec lui de déplacer, par des