Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un peintre fidèle des anciennes mœurs du Danemark, lorsque Hamlet nous montre le roi s’enivrant bruyamment avec ses hommes, ou pour parler le langage de cette vieille cour barbare, avec ses convives, expression qu’il ne faut pas entendre dans le sens d’invités, mais qui était le nom des cavaliers entretenus par le roi pour porter ses messages ou faire fonctions d’aides-de-camp.

Ces vikings, uniformément munis de quatre armes offensives, la hache, l’épée, la lance et l’arc, et d’une seule arme défensive, le bouclier, ne connaissaient pas nos modernes distinctions militaires, et étaient indifféremment marins, fantassins ou cavaliers, selon que le demandaient les circonstances des expéditions. Leur costume était plutôt celui de marins que de soldats, des pantalons aisés, un vêtement de grossière laine rousse, des chaussures de cuir et un bonnet à pointe rattaché sous le menton ; les mieux équipés portaient la chemise de Mailles et un casque plat en acier ; c’est à peu près l’équipement sous lequel les chapiteaux des très anciennes églises romanes nous présentent les gardiens du tombeau de Jésus. Leurs navires méritent une mention spéciale. Ce n’étaient plus ces barques d’osier recouvertes de cuir dans lesquelles les vieux pirates se lançaient à l’aventure, ou même ces longs bateaux dont l’apparition avait effrayé Charlemagne ; c’étaient de belles galères, à cinquante rangs de rames, pouvant contenir de cent cinquante à deux cents hommes d’équipage, très allongées sur les flancs, très hautes et très recourbées à la poupe et à la proue. Artistement travaillées, peintes et dorées à leurs extrémités, munies de voiles composées de bandes alternées de couleur bleue, rouge et verte, décorées d’ornemens et de figures sculptées, on les nommait dragons ou serpens de guerre, parce qu’elles présentaient la forme d’un serpent dont la proue montrait la tête, dont les flancs dessinaient les replis, et dont la poupe figurait la queue. Quelques-uns de ces ornemens étaient en métal et, fait curieux, c’était l’Angleterre, industrielle dès cette époque, qui avait, paraît-il, le monopole de cette fabrication d’art ; le roi Sweyn, nous apprend Carlyle, s’y fournissait des figures dont il décorait les navires à l’aide desquels il conquit une partie du pays. Outre leur nom général de dragons ou de couleuvres de guerre, chacun de ces navires portait un nom particulier comme nos modernes vaisseaux, nom généralement emprunté au règne animal : le Bison, le Lion, l’Ours, le Corbeau, le Cheval de mer, le Long serpent. Lorsqu’on se préparait à une action navale sérieuse, on attachait tous ces vaisseaux ensemble par des cordages, de manière, présenter un front de bataille plus redoutable à l’ennemi dont tous les efforts consistaient à rompre la ligne. Si elle était une fois rompue, la déroute devenait inévitable, ou faction générale se disséminait en cent actions particulières entre navire et navire.