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chambre piémontaise, la prochaine sera celle du royaume d’Italie ! » Une année après, le pressentiment était une réalité, et Cavour n’avait point à craindre d’être désavoué par une assemblée qui lui devait la vie, dont il restait plus que jamais le guide expérimenté et entraînant.

L’assemblée nouvelle, formée de l’élite de l’Italie, représentait merveilleusement par son esprit le libéralisme national qui depuis dix ans avait décidé le succès de la politique piémontaise, et c’est ce qui en faisait une auxiliaire précieuse, une force de gouvernement sous une main habile. Ce que le premier ministre du roi Victor-Emmanuel avait à lui demander avant tout, c’était un acte de patriotisme et de raison, la sanction du traité de cession de la Savoie et de Nice, et la discussion qui s’ouvrait bientôt avait certes une physionomie curieuse. Une liberté complète régnait naturellement dans cette discussion. L’opposition s’y manifestait sous toutes les formes, même sous la forme excentrique, et Guerrazzi, l’ancien dictateur toscan, prodigue de sarcasmes, pouvait menacer Cavour du sort de Clarendon, condamné à l’exil pour avoir cédé Dunkerque à la France ; mais l’opposition qui aurait pu être la plus dangereuse venait d’un homme en qui Cavour retrouvait un adversaire à la fois passionné et contenu, presque un ennemi, — Rattazzi. On avait là sous les yeux, dans une sorte de drame parlementaire, le contrecoup des dissentimens, des conflits obscurs qui avaient préparé la dernière crise ministérielle dénouée par l’avènement de Cavour et par la chute de Rattazzi. Celui-ci avait reçu visiblement une profonde blessure, et on disait même qu’entre les deux hommes, malgré l’ancienne alliance parlementaire et ministérielle, malgré une intimité de quelques années, il n’y avait plus de rapports personnels. Sous des formes déliées et savamment aiguisées, avec des apparences de modération, avec un art plein de calculs, Rattazzi, dans un discours qui ressemblait à un réquisitoire, dirigeait les traits les plus amers contre le traité qui cédait la Savoie et surtout contre la cession de Nice. — Principe, procédés, négociations, tout avait été malheureux dans cette triste affaire ! On aurait pu réunir les provinces de l’Italie sans plier devant un puissant allié, sans se jeter ainsi à la tête de l’empereur, qui aurait sûrement fini par se résigner aux annexions ! Avec la Savoie, on perdait une force conservatrice et dynastique précieuse dans une crise de transformation ! Avec Nice, on perdait une ville italienne, on déviait du programme italien, de la politique de nationalité pour revenir à une politique de transactions territoriales ! On avait payé le prix des annexions sans obtenir même une garantie ! Rattazzi, tacticien habile, ne parlait pas sans doute, comme Guerrazzi, de Clarendon « dur au roi, âpre au parlement et croyant dans son orgueil pouvoir oser toute chose ; »