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philosophe répugnait à ce travail de transformation rendu nécessaire par les progrès de la science, c’est qu’il aurait fait son siège d’avance, c’est qu’une solution philosophique serait pour lui un dogme, c’est en un mot que la métaphysique aurait l’autorité et le prestige d’une religion. Où prendrait-elle cette autorité et ce prestige, du moment que le philosophe ne connaît d’autre source de vérité que l’expérience et la raison ? Qui pourrait le nier aujourd’hui ? en changeant l’aspect du monde par des révélations merveilleuses, la science a renouvelé la philosophie des causes finales. Il n’est pas un problème métaphysique pour la solution duquel la philosophie ne doive tenir compte de ses expériences et de ses théories. Comment agit, dans l’immense série des phénomènes cosmiques, cette cause finale dont la science ne peut méconnaître l’intervention sans tomber dans l’hypothèse impossible du hasard ? Agit-elle d’une façon naturelle ou surnaturelle, c’est-à-dire en se conformant toujours aux lois physiques dont elle est l’auteur, ou en suivant, quand il lui convient, d’autres lois supérieures et parfois contraires aux lois découvertes par la science ? Agit-elle sur le monde comme un principe moteur sur une masse inerte ? Son action cosmique est-elle une véritable création, en ce sens qu’elle aurait fait sortir le monde du néant ? Cette cause finale est-elle une ou multiple ? N’est-elle que l’immense collection d’activités finales élémentaires dont l’accord aurait produit l’ordre universel, ou bien cette collection ne serait-elle elle-même que l’épanouissement d’une pensée unique, principe caché de cette ravissante harmonie ? Enfin où réside la cause unique et première de l’ordre cosmique ? Est-ce dans le monde qu’elle gouverne, ou en dehors du monde, au-delà des régions de l’espace et du temps ? Autant de questions sur lesquelles il n’est plus permis à la philosophie de s’en fier à ses vieilles méthodes et à ses spéculations abstraites.


II

Dans la seconde partie de son œuvre, M. Janet discute avec autant de vigueur que d’impartialité le problème de la nature et du mode d’action de la cause finale. « Si l’on admet, dit-il, la série des inductions que nous avons développées dans le livre précédent, on sera amené à cette conclusion, qu’il y a des buts dans la nature ; mais entre cette proposition et cette autre qu’on en déduit généralement, à savoir : qu’un entendement divin a tout coordonné vers ces buts, il y a encore un assez large intervalle. » Assez large en effet pour fournir un champ de bataille aux plus grandes écoles de l’antiquité. et des temps modernes. De bons et simples esprits ont cru, dans tous les temps, que la transition entre les deux propositions