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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/492

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théâtre, c’est que nulle part l’enfance n’est exposée à plus de tentations et de souffrances ; nulle part aussi la charité ne se montre plus active et plus ingénieuse pour lui venir en aide. Paris n’est pas seulement un centre commual d’activité politique et intellectuelle, c’est aussi un foyer ardent où la vie est poussée à son extrême intensité, aussi bien la vie de la misère et du crime que la vie de la charité. Nous en trouverons la preuve au début de ce travail, dont la première partie sera consacrée aux enfans abandonnés.


I

D’après une publication récente, le nombre des enfans assistés dans toute la France était en 1875 de 93,048. Sur ce nombre le département de la Seine en comptait à lui seul 37,563, soit plus du tiers. Peut-être, il est vrai, tous ces enfans ne sont-ils pas, par leurs parens du moins, Parisiens d’origine ; mais le département de la Seine ne porte pas moins le fardeau de leur entretien, ce qui fait peser sur lui au point de vue moral une grave responsabilité, et au point de vue financier une lourde charge. Pour bien comprendre comment il parvient à s’acquitter de cette double obligation, un court exposé de la législation est ici nécessaire.

Les difficultés que présente la question des enfans assistés (c’est le nom qui prévaut aujourd’hui) ne sont pas neuves. Lorsque Charles VII fondait, par lettres-patentes du 7 août 1445, l’hôpital du Saint-Esprit, il défendait en ces termes d’y recevoir des enfans trouvés : « Si on les recevait, il y en aurait une si grande quantité parce que moult gens feraient moins de difficultés de s’abandonner à pécher quand ils verraient que tels enfans bâtards seraient nourris davantage et qu’ils n’en auraient pas les charges premières et sollicitudes. » On voit qu’il y a plus de quatre cents ans que la charité publique se trouve aux prises avec ce dilemme : augmenter le nombre des naissances illégitimes en recueillant les enfans trouvés, ou augmenter le nombre des infanticides en refusant les secours aux enfans naturels. Il faut remonter jusqu’à l’an 1188, date de l’ouverture du tour de Marseille, pour rencontrer la première des mesures hospitalières qui ont été prises en faveur des enfans abandonnés. Depuis cette date, leur condition a singulièrement varié entre l’époque où on les forçait à porter le costume incommode et bizarre qui leur a valu le nom d’Enfans rouges, sans que ce costume leur assurât toujours l’affectueuse protection qu’il leur garantit dans les pays où cet usage est conservé, en Hollande par exemple, et celle où la convention, dans son langage emphatique, a proclamé tous les bâtards « enfans de la patrie » et les « mis sur le pied des enfans légitimes, non sans leur témoigner