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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/533

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COUSIN ET COUSINE.

Nous la suivîmes dans une salle à manger dont les portes-fenêtres s’ouvraient sur les dalles moussues de la terrasse. D’abord la châtelaine demeura silencieuse ; on eût dit une personne qui se repose après un effort pénible. Serle se montra également taciturne, de sorte que j’eus à faire les premiers frais de la conversation. Par bonheur, les beautés du parc et du manoir me fournissaient un sujet d’entretien inépuisable. Tout en causant, j’observai notre hôtesse : elle n’était ni belle, ni très gracieuse, sa toilette annonçait un grand dédain de la mode et peut-être un certain manque de goût ; néanmoins elle me plut. Ce qui charmait en elle, c’était un air de douceur inaltérable, un air de châtelaine séquestrée et résignée qui rappelait les temps féodaux. Elle restait si simple au milieu de ce luxe massif, si mûre et pourtant si fraîche, si timide et pourtant si calme ! Miss Serle était à la Belle au Bois dormant ce qu’un fait est à un conte de Perrault, ce qu’une interprétation est à un mythe. De notre côté, nous devenions évidemment pour elle un sujet d’étude. Les Anglais les mieux élevés ont de la peine à ne pas témoigner leur surprise en voyant que leurs frères des États-Unis ne se conduisent pas tous en rustres. Miss Serle aurait pu s’étonner encore plus ouvertement sans nous froisser ; il n’y avait certes aucune intention ironique dans le compliment qu’elle crut adresser à nos compatriotes, en déclarant avoir rencontré près du lac de Côme une famille américaine que l’on aurait presque pu prendre pour des Anglais.

— Si j’avais le bonheur de vivre ici, lui dis-je, je ne serais jamais tenté de m’éloigner.

— Cela pourrait finir par vous fatiguer, répondit-elle. Et puis le lac de Côme ! Je donnerais beaucoup pour le revoir.

— Vous n’avez fait ce voyage qu’une seule fois ?

— Une seule : il y a trois ans, mon frère à qui les médecins recommandaient un changement de climat, m’a emmenée avec lui. La Suisse m’a ravie ! Sauf cette excursion, j’ai toujours vécu ici, c’est ici que je suis née. J’aime beaucoup mon cher vieux parc, bien que je me figure parfois que je l’aimerais davantage si je ne le connaissais pas par cœur.

Je lui demandai comment elle passait son temps, et elle me répondit avec lenteur, de l’air d’une personne qui se trouve appelée pour la première fois à récapituler les élémens de son bonheur :

— Je mène une existence fort tranquille. Nous voyons peu de monde. Notre famille est peu nombreuse et je crois qu’il n’y a pas dans les environs beaucoup de gens que mon frère tienne à connaître. Du reste il n’aime guère que ses livres et les promenades à cheval. Un grand chagrin, — la mort de sa femme et d’un cher petit garçon, — a gâté sa vie et depuis son veuvage il préfère vivre