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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/543

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COUSIN ET COUSINE.

— Vous voulez me donner à entendre, continuai-je, que vous avez eu tort d’accueillir votre cousin, d’admettre la parenté ? Dans ce cas, le blâme retombe sur moi. C’est moi qui ai tracé son nom sur ma carte ; il ne songeait pas à se présenter.

— Il se peut que j’aie eu tort à un certain point de vue ; mais je ne regrette pas d’avoir agi selon ma première inspiration. Je ne le regretterai jamais !

— Vous avez raison. En somme, le mal n’est pas grand, si mal il y a.

— Vous ne connaissez pas mon frère, répondit-elle en secouant tristement la tête.

— Plus tôt je le connaîtrai, mieux cela vaudra. C’est donc un homme bien terrible ? Auriez-vous peur de lui ? Elle leva son éventail.

— Il me regarde, murmura-t-elle.

Notre hôte, qui nous tournait le dos, avait à la main un miroir vénitien qu’il venait de prendre dans une vitrine remplie d’antiquités. La glace, dont il semblait faire admirer à son compagnon la monture d’argent ciselé, était tenue de telle façon que la personne de miss Serle s’y reflétait. Je me sentis également surveillé et je ne voulus pas être surveillé pour rien.

— Miss Serle, dis-je brusquement, voulez-vous me faire une promesse ?

Elle tressaillit et répliqua d’un air effrayé : — Non, ne me demandez rien, je vous en prie.

On eût dit qu’elle se croyait au bord d’un précipice où elle craignait de tomber. Moi, je ne voyais qu’un obstacle beaucoup moins dangereux, et je crus lui rendre service en la poussant à le franchir.

— Promettez-moi, répétai-je, de laisser votre cousin vous parler, s’il le demande, quelque désir contraire que vous puissiez supposer à votre frère.

Elle avait à peu près deviné où je voulais en venir, car une vive rougeur anima son visage.

— Vous croyez, dit-elle en hésitant un peu, qu’il a quelque chose de particulier à me dire ?

— Oui, quelque chose de très particulier.

Elle me quitta, traversa le salon et disparut sur la terrasse.

— Vous arrivez à temps pour écouter une charmante histoire, s’écria mon ami lorsque je l’eus rejoint.

Les deux cousins étaient arrêtés en face du portrait d’une dame du temps de la reine Anne, que le peintre ne paraissait pas avoir flattée et qui, du reste, se trouvait mal éclairée.

— Je vous présente Mme Marguerite Serle, continua mon ami, une sorte de Béatrice Esmond, qui n’agissait qu’à sa guise et qui, mal-