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COUSIN ET COUSINE.

blez énormément sous votre costume moderne. Nous portions le chapeau à cornes, le long gilet brodé, l’habit marron, les culottes courtes de l’époque, avec l’épée au côté.

La faconde et la gravité imperturbable avec lesquelles il débitait ce bizarre mélange de folies et d’observations sensées m’impressionnaient. Je m’étonnais surtout du changement qui transformait en rapsode et en voyant ce pauvre homme naguère si timide. En même temps il s’était débarrassé de l’espèce de sauvagerie que sa timidité avait engendrée, car il fit preuve d’une aptitude toute nouvelle à lier connaissance avec les étrangers. Si je le quittais pendant dix minutes, j’étais presque sûr de le retrouver en train de causer avec quelque étudiant affable accosté au passage. Plusieurs des jeunes gens avec lesquels il s’était mis en rapport de cette façon peu cérémonieuse l’invitèrent à leur rendre visite, et l’accueillirent avec une hospitalité un peu bruyante, ainsi que je l’appris plus tard. Pour ma part, je m’abstins d’assister à aucune de ces réunions. Je savais qu’en pareille occasion le vin de Champagne coule à pleins bords ; mais la sobriété de Serle et la position sociale de ses hôtes suffisaient pour me rassurer. D’un autre côté, j’étais heureux que le hasard lui eût procuré une innocente distraction, et en tout cas je ne tenais nullement à être témoin des excentricités dont il pourrait se rendre coupable. Il y avait d’ailleurs une certaine méthode dans sa folie, et la dignité de son maintien devait empêcher qu’on songeât à lui manquer de respect. Il me parla fort peu de ces soirées. Néanmoins deux choses devinrent évidentes pour moi : le vin de Champagne, même pris avec modération, ne valait rien pour lui, et la conversation des étudians contribua beaucoup à modifier l’idée qu’il avait de l’université d’Oxford. Ayant été présenté à quelques agrégés, il dîna une demi-douzaine de fois à la table commune de je ne sais quel collège. Je préférai pour lui ces réunions plus nombreuses et aussi plus calmes. Cependant un soir, à la suite d’un de ces repas, il fut ramené en voiture à l’hôtel par un jeune étudiant et un médecin. Il s’était trouvé mal en se levant de table, et la syncope avait duré assez longtemps pour alarmer ses commensaux. Pendant les vingt-quatre heures qui suivirent il resta couché ; mais le troisième jour il se leva et déclara qu’il se sentait assez remis pour sortir. À peine fûmes-nous dans la rue que ses forces l’abandonnèrent de nouveau et j’insistai pour qu’il regagnât sa chambre. Il me supplia, les larmes aux yeux, de ne pas le retenir prisonnier.

— C’est ma dernière chance, me dit-il, et je voudrais passer encore une heure dans le jardin de Magdalen ; demain il sera trop tard.

Il me sembla qu’avec une des petites voitures qui servent aux malades, la promenade serait possible. L’hôtel possédait un de ces