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risque de sa vie, de remplir. Le plus facile moyen de se rendre à Vologda consiste à remonter le cours de la Dvina. Cette traversée, si l’on voyage jour et nuit, peut s’accomplir en quatorze fois vingt-quatre heures ; mais on doit alors s’embarquer sur un de ces bateaux faits d’un seul tronc d’arbre, qui refoulent aisément le courant à la rame. En traîneau, il ne faudrait pas plus de huit jours pour le même trajet ; seulement n’oublions pas qu’on ne peut faire usage du traîneau qu’en hiver. Tant que la gelée n’a pas aplani les routes, ce serait folie de vouloir s’aventurer au milieu des marais et des fondrières ; on aurait le sort du courrier expédié à Moscou après la première apparition sur les côtes de Russie de l’Edouard-Bonaventure et de Chancelor. A partir de Vologda, la route n’est pas toujours facile, mais il y a une route. Osip Népéi était sans doute impatient d’aller déposer ses hommages aux pieds de son souverain ; il n’entendait pas pour cela confier sa dignité et son importance à une pirogue. La barque qui le reçut était une grande barque de 20 tonneaux, elle fut tranquillement tirée à la cordelle par l’équipage marchant à pas comptés sur la rive. Quand la rive était trop fangeuse ou trop inaccessible, on se poussait avec de grandes perches appuyées sur le fond. Le 20 juillet, Osip quittait le monastère de Saint-Nicolas ; le 26, il faisait son entrée à Kholmogory et s’y arrêtait huit jours. Au XVIe siècle, le temps comptait pour peu de chose. On ne vivait pas, comme à notre époque, dans une fièvre perpétuelle, et les plus bouillans s’accordaient volontiers des semaines entières pour prendre un parti. A Kholmogoryj Osip Gregorievitch fut fêté à l’envi par toutes ses connaissances. Les uns lui envoyaient du pain blanc, d’autres du pain de seigle ; les plus humbles se faisaient un devoir d’expédier leur offrande. Aussi de tous côtés affluaient vers la demeure de Osip Népéi, outre le pain beurré et les crêpes, du bœuf, du mouton, du lard, des œufs, des poissons, des cygnes, des oies, des canards ou des poules. Toutes ces provisions, en somme, n’étaient pas superflues, car de Kholmogory à Oustioug on ne pouvait se flatter de trouver de grandes ressources. Le pays des Tchouds était encore, dans la majeure partie de son étendue, un désert. A Oustioug, il fallut changer de barques ; à Vologda, prendre de petites charrettes attelées chacune d’un cheval. De délai en délai, cinquante-trois jours se passèrent avant que Osip Népéi et les trophées opimes qu’il rapportait de son grand voyage, trophées dont l’ambassadeur avait tenu à ne se point séparer, vissent s’ouvrir devant eux les portes de la Zemlianoï-Gorod. Le 12 septembre 1557, le premier Russe qui ait visité la grande île inconnue du couchant rentrait, après une absence de quatorze mois, à Moscou.

Anthony Jenkinson ne partit que le 15 août de Kholmogory. La