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le kvas semble un excitant nécessaire pour des corps engourdis. Les Anglais cependant insistent. Le penchant des sujets d’Ivan IV à l’ivrognerie est, après l’idolâtrie qu’ils déplorent, ce qui les choque le plus. Boire est tout le désir des Russes ; c’est à vider les pots qu’ils mettent leur orgueil, Les plus sobres ont besoin d’un guide une fois au moins par jour. Invite-t-on à dîner ses amis ? La chère importe peu, pourvu qu’on puisse offrir à ses convives une douzaine au moins de boissons différentes. Le kvas, « avec sa saveur diablement piquante, » n’est que la liqueur du moujik ; les boïars et les riches ont en outre le breuvage composé avec la racine du bouleau en avril, mai et juin, puis cinq sortes d’hydromel : le malinovka, le visnovka, le smorodina, le cheremakyna, enfin l’ordinaire mélange d’eau et de miel. L’usage est de souffler dans sa coupe avant de boire ; le meilleur convive est celui qui la vide le plus souvent. Dans toute ville de quelque importance, il existe une taverne, rendez-vous habituel de tous les ivrognes : c’est la kortchma. L’empereur tantôt l’afferme, tantôt en fait la concession gratuite à quelque gentilhomme. Pour aller boire à la taverne de l’empereur, le moujik vendra tout ce qu’il possède, jusqu’à ses enfans. À bout de ressources, il se vendra lui-même. Le fermier de la kortchma est le véritable maître de la ville. Il peut voler, dépouiller à son gré ses cliens. Il fait en un mot ce qui lui plaît ; mais à peine est-il riche que l’empereur le rappelle et l’envoie de nouveau à la guerre. Là il a bientôt dépensé tout ce qu’il a gagné par de mauvais moyens. L’empereur s’entend admirablement à remplir ses coffres et à subvenir, sans bourse délier, à l’entretien de ses armées ; tout retombe à la charge du pauvre peuple.

L’ivrognerie n’est pas d’ailleurs la seule cause de ruine pour le Moscovite. Le jeu fait dans les rangs du peuple presque autant de ravages que le kvas. Quand l’argent lui manque pour tenter de nouveau la chance, le Russe joue sans hésiter sa selle ou son cheval. On peut voir les plus pauvres, assis sur leurs talons, jeter les dés en plein air ou poursuivre le mat. Les échecs et les dés, tels sont les jeux habituels des Russes. C’est là un trait commun aux sujets d’Ivan IV et à ceux de la dynastie restaurée des Mings.

L’Europe septentrionale paraît avoir fait, sans le soupçonner, plus d’un emprunt au Céleste-Empire. Ne serait-ce point par hasard du Cathay que seraient venues, par l’entremise des conquérans mongols, ces longues robes flottantes que nous décriront, avec un étonnement mêlé de quelque dédain, Killingworth, Henry Lane, Jenkinson ? « Voici, nous disent-ils, le costume habituel des Russes : le vêtement de dessus, — la chouba, — est une pelisse fourrée de drap d’or, de satin ou d’étoffe plus grossière. Ce premier vêtement tombe jusqu’aux pieds. On le boutonne avec de grands boutons