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méconnaître. Aussi vit-on, durant cette courte période où les empereurs latins régnaient à Constantinople et les petits-fils de Témoutchin à Pékin, deux Italiens se frayer, sur les plateaux de l’Asie centrale, un chemin qui les mena tout droit aux frontières de la Chine. À cette époque, la république de Venise s’était emparée de la plupart des îles de l’archipel grec, et Gênes possédait de nombreux comptoirs dans les provinces qui viennent aboutir au Pont-Euxin. Établis sur divers points de la côte méridionale de Crimée, les Génois expédiaient chaque année leurs caravanes jusqu’à Novgorod. Le plus important de ces postes commerciaux, situé entre Alouchta et Kaffa, par 44° 50’ de latitude nord et 32° 39’ longitude est, se nommait Soldaïa ou Soudagh. Il acquit bientôt, par les transactions dont il devint le point de départ, une telle importance qu’il finit par donner son nom à tout le territoire que les Grecs occupaient alors en Crimée. Ce fut de cette ville « qui regarde de côté celle de Sinope, » et où abordaient « tous les marchands venus de Turquie pour passer vers les pays septentrionaux » que se mirent en marche, au printemps de l’année 1250, les deux frères Nicolò et Matteo Polo, père et oncle du fameux Marco Polo. Ces Vénitiens gagnèrent d’abord la rive gauche du Volga et la résidence d’été du khan de Kiptchak, que les géographes ont placé 20 lieues environ au sud de Kazan, puis, après avoir erré pendant quelque temps de la rive gauche à la rive droite du fleuve, ils se décidèrent à traverser de nouveau le Volga et prirent, sans vouloir regarder en arrière, le chemin qui s’ouvrait devant eux vers l’Orient. Ce chemin était un désert « de 17 journées. » Là ne se rencontraient « ville ni chastel, mais seulement Tartares en leurs tentes, vivant de leurs bêtes qui paissaient aux champs. » Les deux frères atteignirent ainsi une cité appelée Bokhara, « cité la meilleure de toute la Perse. » A Bokhara, ils séjournèrent trois ans et apprirent « la langue tartaresse. » Entre l’antique Bactriane et le Cathay les communications étaient alors, sinon très faciles, du moins régulières et périodiques. Les deux Vénitiens associèrent leur sort à celui d’une caravane qui retournait à Kachgar. Au bout d’une année, poussant toujours de plus en plus avant leur voyage, ils arrivèrent dans la Mongolie chinoise, à la cour de Khoublaï-khan. En 1269, ils étaient de retour à Venise ; une galère arménienne les avait ramenés du golfe d’Alexandrette au port de Saint-Jean d’Acre. L’expérience était concluante : on pouvait se rendre en Mongolie par deux voies distinctes, traverser à son gré l’Arménie ou la Tauride ; l’important était de choisir la voie où l’on aurait le moins de chance de se heurter à des guerres intestines,, a Tauride fut, sous ce rapport, le premier chemin qu’il fallut abandonner. Bientôt il n’en resta pas un qui fût pour des négocians chrétiens praticable. Les