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jamais eu pour elle de sécurité ; les autres conquêtes, au regard de celle-là, ne furent que des accroissemens de territoire.

Ivan Vasilévitch, bien qu’il eût fait récemment contre les Livoniens une nouvelle épreuve de ses forces, ne pouvait oublier ce qu’avait coûté de sang moscovite, d’inébranlable patience, de persévérans efforts, l’importante annexion que le ciel lui réservait la gloire d’achever. Kazan jusqu’à ce jour s’était contentée de l’antique enceinte de bois et de terre commune à toutes les cités tartares ; pour mieux la protéger contre un retour offensif, le tsar venait d’ordonner de jeter bas les vieux murs et de remplacer les remparts de boue par un boulevard de pierres. Il ne dépendait pas malheureusement de la volonté souveraine d’Ivan Vasilévitch de rendre à la ville soumise la dignité, la richesse, l’importance de la ville indépendante.

Le 13 juin, le convoi reposé et ravitaillé appareille. Suivons-le pas à pas dans sa marche ; nous ferons ainsi connaissance avec les nouveaux états d’Ivan IV. Voici d’abord l’île fameuse des Marchands. Dans cette île se tenait jadis le grand marché des Russes, des Kazanais, des Nogaïs et des Criméens. Ce marché est abandonné ; il n’y a plus, depuis le mois d’octobre 1552, de marché neutre entre Moscou et la mer Caspienne. La conquête a fait la sécurité, elle a fait aussi la solitude. Kazan n’est qu’à une quinzaine de lieues en amont de l’embouchure d’une large rivière. Cette rivière, la Kama, vient de la Permie ; elle apporte au-dessous de Kazan son puissant tribut au fleuve dont le courant continue d’entraîner la barque de Jenkinson. Le pays de Vachen est déjà en arrière ; le confluent de la Kama en marque la limite. Sur la rive droite du Volga s’étend maintenant la terre des Tchérémisses, tribus moitié païennes et moitié musulmanes. Regardez en face, vous avez devant vous, bordant constamment la rive gauche du fleuve, la bordant jusqu’à l’embouchure de la branche orientale, l’immense contrée qu’occupent les Tatars Nogaïs. Cette nation belliqueuse fut longtemps l’effroi de la Russie ; la famine et la peste, secondant l’habituel fléau des guerres intestines, combattent aujourd’hui pour les sujets d’Ivan IV, elles ne tarderont pas à les débarrasser de ces dangereux ennemis. Plus de 100,000 Nogaïs ont déjà disparu.

Au sud de la terre des Tchérémisses et sur la même rive, sur la rive du fleuve opposée à celle qu’occupent les Nogaïs, campent les Criméens. La terre de Crimée n’est pas seulement la petite péninsule qui doit garder ce nom quand les Tartares auront été refoulés pied à pied au-delà de l’isthme de Pérékop, quand les généraux d’Amurat seront entrés en vainqueurs dans Kaffa ; en 1558, les Criméens sont encore une grande nation, en état de se mesurer sans trop de désavantage avec les Russes. Sous le nom de Criméens, il