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c’étaient les Scythes, aujourd’hui ce sont les Criméens et les Nogaïs. Ni les uns, ni les autres ne bâtissent de villes ; ils ont des maisons de bois portées sur des roues comme la cabane d’un berger. Ces maisons, les Tartares les traînent partout où ils vont, chassant leurs troupeaux devant eux. Quand ils arrivent au lieu choisi pour leur campement, ils ont soin de ranger leurs chariots en bon ordre. Le camp présente alors l’aspect d’une grande ville avec ses rues régulières. Le souverain de Crimée ne vit pas autrement : sa capitale est une cité de bois incessamment en marche ; il est certaines saisons où l’on ne retrouverait pas deux jours de suite le souverain et sa ville à la même place. Ces incorrigibles vagabonds ont peine à comprendre une autre existence. Les constructions fixes des autres peuples leur semblent à la fois malsaines et désagréables ; ils n’y respirent pas à l’aise. Chaque année au printemps, on les voit mettre en mouvement leurs maisons avec leurs bestiaux, pour se porter vers le nord. Faisant des étapes de 10 ou 12 milles par jour, ils finissent par atteindre l’extrémité la plus septentrionale du pays que les Russes ne sont pas encore parvenus à leur ravir ; ils reviennent ensuite lentement vers le sud. L’herbe que leurs chevaux et leurs troupeaux ont tondue a déjà repoussé. Il n’en faut pas moins de vastes provinces à ces hordes, dont le passage périodique ressemble à celui d’une nuée de sauterelles. Aussi le khan de Crimée n’a-t-il pas cessé de prétendre que les villes de Kazan et d’Astrakan, que toute la contrée qui s’étend au nord et à l’ouest jusqu’à Moscou, que Moscou même lui doivent, comme aux jours du grand-khan, obéissance et hommage.

Depuis la sanglante victoire remportée par Dmitri Donskoï vers la fin du XIVe siècle, victoire qui mit le sceau à l’indépendance de la Russie, la guerre est sans trêve entre les deux nations. « Le Russe défend obstinément les conquêtes qu’il a faites ; le Tartare envahit le territoire russe une ou deux fois par an. » Quoi qu’il en soit, cette race qui distribuait jadis les couronnes en Russie, cette race de qui le grand prince Yaroslav et le vainqueur des Suédois, Alexandre Newski, ont tenu, en 1247, leurs pouvoirs, est en 1558 une race condamnée. Si elle n’est pas soumise par le tsar, elle sera subjuguée par le Grand-Turc. Le fils de Sélim, Soliman le Grand, Soliman le Magnifique, a, comme le fils de Basile, une nombreuse artillerie, des delhis et des janissaires couverts de cottes de mailles ; les Tartares criméens n’ont encore pour armes offensives que leur arc, leur carquois rempli de flèches, leur sabre courbe ; quelquefois un bâton pointu semblable à un épieu ; leur armure ne se compose que d’une peau de mouton noir qu’ils portent, la laine en dehors pendant le jour, en dedans pendant la nuit ; leur morion est un bonnet de peau. Que leur servira, quand il faudra répondre