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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/609

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Elle conserve encore toute sa valeur aujourd’hui. Ces sectaires si décriés se rencontrent ici avec les apologistes les plus orthodoxes et invoquent les mêmes argumens. Sans doute, ce n’est pas dans l’intérêt des mêmes idées, mais ils ont eu le mérite de montrer que l’idée religieuse n’est pas exclusive des idées modernes et qu’elle est liée à leur progrès ; ils ont montré ce progrès non dans la négation, mais dans l’affirmation d’un ordre idéal et divin.

L’esprit d’irréligion, disaient-ils encore, s’explique dans les époques critiques où tout est confusion et désordre : il est alors naturel de croire que le monde est fait comme la société elle-même. L’histoire ne paraît plus qu’une suite absurde de révolutions sanglantes, sans raison ni but, et le monde est un chaos. Alors Dieu se retire du cœur de l’homme, et avec lui la moralité, car il n’y a pas de moralité sans destination, sans but, et point de but sans Dieu. Le saint-simonisme était donc absolument contraire à ce que l’on a appelé depuis la morale indépendante ; il se refusait à séparer la morale de la religion. On parle de faits positifs, de lois positives ; mais il n’est pas de fait plus positif que celui-ci : l’homme est un être religieux.

Ici les saint-simoniens rencontraient un adversaire dans un des leurs, ou plutôt dans un penseur qui avait été des leurs et qui s’était séparé d’eux, Auguste Comte, qui, dans le Troisième cahier du Catéchisme industriel, avait posé les bases de sa doctrine et avait rompu avec son maître, précisément pour ne pas le suivre sur le terrain religieux. Dans cet ouvrage, que Saint-Simon avait d’abord accepté, mais sous réserve, Auguste Comte, aspirant à devenir à son tour chef d’école, exposait sa théorie, depuis célèbre, des trois états : théologique, métaphysique et positif, — doctrine absolument contraire à l’idée d’une régénération religieuse, quoique plus tard lui-même, redevenu à son tour sur ce point le disciple de Saint-Simon, se soit appliqué à fonder une religion positiviste ; mais, alors il était nettement hostile à toute pensée de ce genre. Rencontrant un tel adversaire si près d’eux, les saint-simoniens durent faire tous leurs efforts pour l’écarter. Ainsi, bien avant que le positivisme eût réussi à se faire connaître du public, les saint-simoniens l’avaient déjà soumis à une critique sévère et pressante. La prétendue loi des trois états s’expliquait suivant eux par le passage d’une époque organique à une autre époque organique, mais n’était nullement la loi universelle de l’humanité. Soit une société fondée sur une doctrine religieuse, le polythéisme, par exemple ; cette doctrine ne suffisant plus à l’état des esprits, il est très vrai que la métaphysique survient, qui s’attaque au dogme et ruiné le surnaturel : telle fut l’œuvre par exemple de Socrate et de Platon. Puis vient l’état soi-disant positif, par exemple l’athéisme d’Épicure,