cette matière dont l’antiquité et la scolastique, jusqu’à la philosophie mécanique de Descartes inclusivement, avaient conçu une si fausse idée, dans leur ignorance profonde des lois de la nature. L’étendue, selon Leibniz, n’est qu’une propriété de l’espace, une propriété géométrique et non physique, comme ou dirait aujourd’hui. Elle ne peut donc être considérée, ainsi que le voulait Descartes, comme la propriété essentielle, l’essence même de la matière, dont toutes les autres propriétés ne seraient que des modes. Ce qui fait l’essence, la nature même de la matière, c’est la force, en sorte que ce n’est point assez de dire que la matière compte la force parmi ses diverses propriétés ; c’est la force qui est la propriété génératrice de toutes les autres. Toute la substance matérielle de l’univers se ramène donc à un nombre infini de forces simples, indivisibles, individuelles, de monades qui une fois créées produisent d’elles-mêmes L’ordre universel du Cosmos, en vertu de cette loi de l’harmonie préétablie, conséquence nécessaire de la nature et de l’action des principes élémentaires.
La science, par l’observation et l’expérience, a confirmé cette définition anticipée de la matière. Tant que les principes abstraits de la mécanique ont prévalu, elle n’a pas été bien comprise, et la philosophie du sens commun ne l’a prise que pour l’ingénieux paradoxe d’un esprit trop enclin aux hypothèses. Et c’est précisément ce paradoxe qui est devenu une vérité positive, grâce aux progrès des sciences de la nature. L’ancienne notion de la matière, vue de près et rigoureusement analysée, n’était qu’un préjugé de l’imagination dû à la représentation des apparences, et nullement à l’analyse de la réalité. Si l’on ne veut pas entendre Diderot, juge un peu suspect en pareil cas, malgré sa connaissance étendue des résultats de la science nouvelle, on ne récusera pas l’autorité d’un savant qui a mis au service de la philosophie sa méthode d’analyse toute scientifique. C’est dans les livres excellens, mais trop peu lus, de M. Cournot, qu’on peut voir jusqu’à quel point la science a changé la notion de la substance matérielle, et la célèbre théorie des qualités premières et secondes des corps. C’est ce philosophe, aussi modeste qu’éminent, qui a montré comment la balance et les réactifs sont les seuls moyens de constater les propriétés réelles, les propriétés physiques de la matière, comment il appartient aux sciences expérimentales seules, à la physique, à la chimie, et non aux sciences mathématiques et abstraites, telles que la géométrie et la mécanique, de définir les propriétés des corps et la vraie nature de leurs principes élémentaires.
Il n’est donc plus besoin de moteur pour expliquer le mouvement universel des choses, pas plus quand il s’agit des révolutions des grands corps célestes que s’il est question : des actions