Il savait trop ce qu’il avait à craindre de l’inquisition pour oublier à quelles conditions elle consentait à ne plus s’occuper de lui. Le silence qu’il avait gardé en public pendant seize ans sur le sujet défendu, les précautions mêmes qu’il prenait dans les Dialogues pour donner à sa pensée un tour inoffensif, témoignaient au besoin de la fidélité de ses souvenirs.
En réalité, s’il avait repris la plume pour traiter une question interdite, ce n’est pas qu’il eût pu oublier la défense formelle qui lui en avait été faite. Il aurait pu répondre avec plus de franchise qu’on l’avait condamné autrefois à se taire, mais qu’on ne l’avait pas convaincu, et qu’après tant d’années de silence le besoin de proclamer la vérité avait été plus fort chez lui que la crainte de désobéir ; mais il ne convenait pas à un esprit aussi subtil, à un caractère aussi prudent que celui de Galilée, de s’engager ainsi par une déclaration catégorique et de se fermer toute porte de sortie. Il aimait mieux biaiser avec ses juges, plaider les circonstances atténuantes, laisser croire qu’il avait pu se tromper, mais non agir avec mauvaise intention en connaissance de cause. Au moment même où il subissait son premier interrogatoire, il espérait encore retrouver chez le souverain pontife quelques restes d’amitié ou tout au moins de bienveillance ; raison de plus pour qu’il répondît d’une manière évasive et ne se compromît point par un aveu explicite de ses torts. Il semble avoir cru, dans cette première séance, qu’il lui serait possible d’obtenir un entretien secret du saint-père ; interrogé sur ce que lui avait dit le cardinal Bellarmin en 1616, il répondait qu’il y avait des détails de leur conversation qu’il ne pouvait confier qu’aux oreilles du souverain pontife. C’était demander clairement une entrevue avec Urbain VIII ; ses juges parurent ne pas le comprendre ou, s’ils reportèrent l’expression de son désir aux pieds du saint-père, ils n’obtinrent de celui-ci aucune réponse favorable. La suite du procès devait prouver du reste que Galilée n’avait à attendre de son ancien ami ni indulgence ni pitié.
Toutes les réponses de Galilée à son premier interrogatoire offrent le même caractère d’ambiguïté. On lui demande si, avant de solliciter du père Riccardi l’autorisation d’imprimer ses Dialogues, il a prévenu le maître du sacré-palais de la défense qui lui avait été faite autrefois de traiter certains sujets. Il répond qu’il n’en a point parlé au père Riccardi, « parce qu’il ne croyait pas nécessaire de le lui dire, n’ayant aucun scrupule, n’ayant dans son livre ni soutenu, ni défendu l’opinion de la mobilité de la terre et de la stabilité du soleil. » Il n’est pas bien sûr qu’en altérant ainsi la vérité Galilée ait choisi le meilleur moyen de défense ; un peu plus de franchise l’eût peut-être mieux servi. C’était se moquer de ses juges et les