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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/67

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à la réalité, de ne point se refuser à l’évidence du principe qui ressort du fond même des choses. La vérité que la science n’a point à observer, mais qui éclate aux yeux de la philosophie, c’est que tous ces mouvemens imperceptibles des corps ne sont point des mouvemens abstraits, tels que les conçoit la mécanique pour expliquer leurs rapports d’équilibre, mais des mouvemens qui tendent à une fin ; c’est que toutes ces forces simples qu’on appelle atomes sont non-seulement actives, mais d’une activité déterminée et finale. Tout mouvement est une tendance ; nous n’irons pas jusqu’à dire, avec Leibniz et surtout Schopenhauer, un instinct, une volonté. Toute force simple est une cause finale, nous ne disons pas, avec les mêmes philosophes, une âme douée de perception indistincte et de sourde conscience. C’est une fausse méthode, ou tout au moins un abus de langage, que de mêler ainsi la psychologie et la physique. Une métaphysique exacte ne confond rien, elle n’affirme point que tout est vie dans l’univers, parce que tout y est force ; elle ne se risque pas à qualifier d’instinct, de pensée, de volonté ce que l’analyse ne nous montre que comme pure et simple activité. Et enfin, parce que l’univers est partout intelligible, sous quelque face qu’on l’observe, une philosophie qui pèse ses mots n’ira point jusqu’à dire qu’il est intelligent.

Ainsi donc la philosophie, en introduisant le principe de finalité dans les élémens des choses, n’est point dupe d’une illusion psychologique. Elle ne prête à ces élémens aucune des propriétés propres aux causes finales qui opèrent dans les œuvres de l’industrie ; elle ne fait que leur attribuer un caractère sans lequel il serait impossible de rendre raison de leur mouvement vers l’ordre et l’harmonie finale. Ce caractère, aux yeux de la philosophie, est le fonds même de l’être, en ce sens qu’il n’en est pas seulement une propriété telle quelle, qu’on pourrait ignorer, si l’expérience ne nous en avait appris l’existence, mais une propriété essentielle et, si l’on nous passe le mot par trop métaphysique, consubstantielle avec le mouvement qui lui est propre. Dire que toute substance est force ne suffit pas ; il faut ajouter que toute force simple a en elle le principe de sa direction, et que le mouvement par lequel elle se produit est une tendance vers une fin. Et si le savant veut savoir quelle méthode expérimentale ou spéculative donne cette certitude au philosophe, celui-ci peut répondre : ni l’une ni l’autre. C’est dans l’analogie qu’il puise le principe de finalité. Que si on lui conteste cette source d’inductions, pour le cas dont il s’agit, il demandera au savant dans quel cas il est permis de s’y fier. Où l’analogie offre-t-elle des caractères plus frappans ? Où impose-t-elle avec plus d’autorité une conclusion ? Si l’esprit scientifique résiste à supposer entre les œuvres humaines et les œuvres naturelles un rapport commun de