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prochain la mise en valeur des champs de houille qui dorment encore inexploités en divers points du globe vienne modifier la situation relative des pays producteurs. On sait que l’ensemble des terrains carbonifères déjà connus représente une aire d’un million de kilomètres carrés, — deux fois la surface de la France, et quarante fois celle des gisemens de la Grande-Bretagne. Il y a là à coup sûr beaucoup de morts-terrains, de faux gisemens, depuis longtemps pillés par les eaux, comme en Irlande ; mais rien qu’en Europe, nous savons que la Russie a d’immenses réserves souterraines, et celles de l’Espagne aussi sont à peine entamées.

L’humanité a encore du combustible en cave pour bien des siècles. Et n’est-ce pas lâcher la proie pour l’ombre que de vouloir à tout prix garder nos provisions de houille pour la postérité ? Sans doute elle en tirerait un parti plus complet, en ferait un emploi plus économique ; mais on oublie qu’elle perdrait les intérêts composés du capital que représente le travail accompli à l’aide de chaque tonne de houille actuellement consommée. Ce travail est lancé dans la circulation et porte ses fruits indéfiniment, tandis que la tonne de houille dort improductive dans le sein de la terre, et n’augmente de valeur qu’en raison des perfectionnemens que le temps apporte aux appareils de combustion et aux machines à feu. Un pont de fer dont la construction a exigé 20,000 tonnes de charbon peut faciliter le passage d’une rivière à un million d’hommes par an ; eût-il donc mieux valu conserver ce charbon pendant un siècle, afin de profiter de la plus-value qu’il eût acquise au bout de ce temps, grâce au progrès de l’industrie du fer ? Que pourrait bien être cette plus-value, comparée aux services que le pont aura rendus pendant cent ans ? Et une flotte marchande qui, lestée de charbons, exporte des produits manufacturés chez tous les peuples et en échange rapporte du blé, du coton, de la laine, ne sert-elle point à fonder une prospérité qui vaut bien le bénéfice à longue échéance d’un stock de houille gardé intact pour l’avenir ? L’Angleterre, qui profite largement d’une telle situation, voit avec regret venir le jour où il lui faudra acheter du charbon au lieu d’en vendre. La France, elle, importe une notable partie du charbon dont elle a besoin, et elle fait bien, car la Belgique et l’Angleterre, ce sont deux excellens fournisseurs qu’elle a tout avantage à conserver tant qu’on lui offre la houille à bas prix ; elle ne peut la produire à si bon marché elle-même. Mais ne pourrait-elle pas, malgré cela, exporter, elle aussi, une certaine quantité de ses charbons, — disons 2 millions de tonnes par an, — pour fournir à sa marine marchande le fret de sortie, ce ressort moteur qui lui manque aujourd’hui ? C’est ce qu’il nous reste à examiner.


R. RADAU.