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nombreuses députations de paysans dans une attitude suppliante. C’est à genoux qu’ils le conjurent d’alléger les charges écrasantes que leur imposent les fermiers de la dîme, grecs ou arméniens. Souvent ils se plaignent des injustes exigences des propriétaires turcs, leurs seigneurs ; mais dans ces derniers temps ils réclamaient surtout contre les vexations dont les accable leur clergé[1]. »

Il en coûte gros de devenir patriarche de Constantinople. Pour rentrer dans sa dépense, on met aux enchères les sièges épiscopaux, et à leur tour les évêques se remboursent de leurs frais d’acquisition en vendant à beaux deniers comptans toutes les cures de leurs diocèses. On a vu des popes bien rentes en acheter jusqu’à vingt à la fois et les repasser à d’autres, non sans prélever une commission usuraire. Grâce à la dîme et aux extorsions de tout genre, il se trouve que chacun a fait une bonne affaire. C’est du meilleur de son sang que le peuple nourrit toutes ces sangsues publiques, que personne n’a jamais fait dégorger. Passe encore si, tout en dévorant ses ouailles, le clergé bulgare se croyait tenu de leur distribuer le pain de l’âme en retour des piastres qu’il leur prend et de se donner quelque peine pour les instruire. « Que dirai-je de la corruption du haut clergé ? s’écrie M. Kanitz, ces enfans du Fanar sont de vrais pachas spirituels… Ni femmes ni jeunes filles ne sont à l’abri de leurs entreprises. Les plaintes adressées à ce sujet au grand-vizir, qui fit en 1860 une tournée dans la Bulgarie, dépassent tout ce qu’on pourrait imaginer. » Pour ce qui est du pope, ses mœurs sont beaucoup plus régulières, mais son ignorance est extrême. La seule supériorité manifeste qu’il ait sur le commun des paysans consiste dans sa grande barbe et dans sa barrette. A peine connaît-il ses lettres. Au lieu d’inscrire dans un registre les baptêmes et les mariages, il s’en tient souvent à la taille de bois, et après avoir fait sa coche, administré les sacremens, nasillé la liturgie, il retourne à sa charrue et à ses porcs, qui sont les seuls de ses paroissiens qu’il ait souci d’engraisser.

Comment trouver les élémens d’une administration autonome et d’un gouvernement libre chez un peuple qui n’a d’autre instituteur qu’un pareil clergé ? M. Kanitz nous raconte qu’il y a quelques années, un bon vent ayant soufflé sur Stamboul, on y sentit le besoin de donner quelque attention à l’instruction publique dans les provinces, « Les autorités turques, que cela soit dit à leur honneur, exhortèrent énergiquement les communes bulgares, soit chrétiennes, soit musulmanes, à s’occuper sérieusement de l’enseignement primaire. On leur enjoignit de créer des caisses d’écoles et de construire des bâtimens. Dans plusieurs grandes villes, ces injonctions portèrent fruit ; de jolis édifices scolaires remplacèrent les étroits appentis où, à l’ombre de la mosquée, la jeunesse turque était endoctrinée par un hodscha. Les nouvelles

  1. F. Kanitz, Donau-Bulgarien und der Balkan, historisch-geographisch-ethnogra-phische Reisestudien aus den Jahren 1860-1875, Ier vol., pages 103 et 116.