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peu de chance d’être acceptées, — une investiture nouvelle du prince Milan, la préoccupation des forteresses serbes, la limitation des forces militaires de la principauté, une indemnité de guerre, etc. ; mais en même temps le cabinet turc s’est empressé d’ajouter que, voulant « donner une preuve manifeste de sa confiance dans l’œuvre médiatrice » de l’Europe, il s’en remet entièrement « au jugement éclairé et à l’appréciation équitable des six puissances ; » il confie la décision suprême « à leurs sentimens de haute équité et de haute sagesse. » Après de si nettes déclarations, il serait difficile d’admettre que le cabinet ottoman persistât à opposer ses prétentions premières aux conditions anglaises que sir Henry Elliot a été chargé de lui remettre avec le concours des autres puissances. Ce qu’il peut faire de plus habile, c’est d’accepter sans discussion ce qu’on lui propose pour le rétablissement de la paix avec la Serbie, aussi bien que pour les réformes dans les autres provinces. Ce qu’il peut faire de plus utile pour lui-même, dans cette œuvre réformatrice que le nouveau sultan Abdul-Hamid paraît disposé à poursuivre, c’est de chercher une force dans les conseils et le concours de l’Europe. C’est le meilleur moyen d’assurer cette intégrité de. l’empire que la diplomatie déclare vouloir respecter. Puisque la Porte a su être modérée jusqu’ici au milieu de cruels embarras, elle n’a qu’à rester modérée jusqu’au bout et à laisser à d’autres la responsabilité des crises que l’Europe s’efforce de détourner ou d’atténuer.

D’où viennent les difficultés réelles, sérieuses aujourd’hui ? Elles ne viennent point de la Turquie ou du moins de la politique suivie en ce moment par le cabinet turc. Elles tiennent sans doute à des causes aussi multiples que profondes, à une situation des plus compliquées ; elles viennent surtout d’abord de cette malheureuse Serbie, qui après avoir été précipitée dans une guerre aventureuse, semble plus que jamais entraînée et résolue à épuiser les hasards d’une lutte inégale où elle n’a eu jusqu’ici que des mécomptes. Les vrais obstacles que rencontre l’Europe, ils sont là, il faut bien l’avouer. C’est la Serbie qui compromet tout par ses impatiences, qui refuse même de se prêter pour quelques jours à une suspension d’hostilités à la faveur de laquelle la médiation aurait pu s’exercer dans sa plénitude, sans être incessamment à la merci de tous les incidens. C’est la Serbie qui semble maintenant vouloir prendre sur elle de repousser les propositions anglaises, dont le mérite après tout est de lui épargner les conséquences de la provocation et de la défaite, de la replacer dans les conditions où elle se trouvait avant cette hasardeuse levée de boucliers. Quels sont les mobiles de la politique serbe dans ce moment critique, à ce début d’une négociation où la jeune principauté sait bien que ses intérêts n’auraient point été négligés ? Il y a peut-être deux explications. Les Serbes comme d’autres cèdent aujourd’hui à l’enivrement de la passion d’indépendance, aux