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ramène 60, et ce curieux défilé dure plus d’une heure. C’est à qui trouvera place des premiers ; la galanterie américaine s’est un peu refroidie, et les hommes ne se lèvent plus pour offrir leur siège aux dames.

La majeure partie des visiteurs de l’exposition, il n’est pas besoin de le dire, se compose d’Américains du Nord. Ils arrivent de tous les états, même de ceux du Pacifique, et souvent par masses serrées. Le collège militaire de West-Point a envoyé pendant plusieurs jours, au mois de juin, tous ses jeunes cadets, qui ont campé dans le parc de Fairmount en plein air, comme de vieux soldats. D’autres fois ce sont des universités, des collèges, qui dépêchent tous leurs élèves, de grandes exploitations minières ou industrielles, tous leurs ouvriers, par plusieurs centaines à la fois. La discipline, le bon ordre, n’ont jamais eu à en souffrir, et dans ces intéressantes promenades, les bouilleurs de Pensylvanie, ces terribles grévistes, accourus plusieurs fois en bandes nombreuses, n’ont jamais donné lieu à la moindre plainte.

Tous les bâtimens de l’exposition, larges, bien aérés, bien éclairés, où la circulation est très facile, offrent à certains momens, surtout le main building, un aspect très caractéristique. La musique, en vertu du privilège qui lui a été partout concédé dans ces sortes de fêtes, au grand mécontentement de ceux qui veulent sérieusement étudier, y fait entendre plusieurs fois par jour ses sons assourdissans, au piano, aux orgues mécaniques ou dans un de ces grands orgues d’église dont toutes les expositions sont dotées. Ces instrumens font partie des objets en montre, il faut bien les essayer pour voir ce qu’ils valent. Heureux quand une Américaine ne vient pas y mêler sa voix, car les femmes de ce pays chantent comme leurs sœurs les Anglaises ! C’est enfin le tour des instrumens de cuivre. Le célèbre Gilmore, en habit de colonel, la poitrine constellée de croix dans cette république où il n’existe pas de décorations, a, deux mois durant, le matin et l’après-midi, conduit sa bande bruyante sur une estrade d’honneur qui est au centre du main building. Puis il est reparti pour New-York où l’attendaient de nouveaux succès, et où trônait déjà le maître de l’opérette française qu’une façon de Barnum, aujourd’hui en déconfiture, venait montrer aux Américains.

Partout la foule accourt naïve et badaude. Elle se presse sans se bousculer. On devine l’indigène, ce que nous appelons le Yankee (les Américains du Nord réservent ce nom aux habitans de la Nouvelle-Angleterre), à sa physionomie, à ses allures particulières, où le sans-gêne domine, à la coupe étrange de sa barbe, à son habitude de mâcher du tabac, et on le distingue à première vue de l’Européen ou de l’Hispano-Américain qui sont venus se perdre jusque-là.