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— Je n’empêcherai rien de ce que vous désirez, répliqua Gwendoline avec hauteur. — On eût dit qu’elle frissonnait, et ses lèvres étaient pâles.

— Vous êtes très attrayante miss Harleth, mais quand il m’a connue j’étais jeune, moi aussi. Depuis, ma vie a été brisée. Il ne serait pas juste qu’il fût heureux, tandis que je suis misérable, et que mes enfans fussent sacrifiés à d’autres.

Ces paroles avaient été prononcées avec amertume, bien que sans violence. Gwendoline en regardant Mme Glasher, en l’écoutant, éprouvait une vague terreur, comme si quelque vision se fût dressée devant elle, en disant : « Je suis la vie d’une femme. »

— N’avez-vous plus rien à m’apprendre ? reprit-elle du même ton de fierté glaciale. Je m’en vais. — Elle s’inclina cérémonieusement et l’autre lui rendit ce salut avec une grâce égale à la sienne.

C’est après cette entrevue que Gwendoline accepte brusquement l’invitation d’amis qui lui offrent de se joindre à eux pour une excursion sur le continent. Mme Davilow ne sait que penser, mais elle n’a pas l’habitude d’être consultée ; si elle osait faire quelque objection, sa fille lui rappellerait nettement que sa double expérience de la vie conjugale a été trop malheureuse pour qu’elle puisse entreprendre de la guider.

Nous avons vu de quelle manière Gwendoline passe son temps à l’étranger et comment elle est forcée par une mauvaise nouvelle de renoncer aux émotions du jeu. Tandis qu’elle retourne en Angleterre, Grandcourt se met à sa recherche sans trop se hâter ni se tourmenter. Au fond, il trouve piquant que miss Harleth ait reculé devant une si belle chance de fortune ; il lui plaît d’interpréter cette fantaisie comme une revanche assez flatteuse ; n’était-il pas arrivé en retard pour le pique-nique ? Elle aura voulu le punir du peu d’empressement qu’il a montré dans une circonstance évidemment décisive. En fuyant, elle compte bien être suivie. Peut-être ne la suivrait-il pas cependant, si le bruit n’arrivait jusqu’à lui qu’on le soupçonne dans le pays d’avoir été repoussé.

Il arrive trop tard à Leubronn, — c’est le nom des eaux rivales de Bade où la fiancée de son choix avait entrepris de faire sauter la banque, — mais sir Hugo Mallinger est encore là en compagnie de sa famille, et Grandcourt assiste, dans le salon de jeu où il les a rejoints, à la conversation suivante entre son oncle et Deronda : — Où donc est ta princesse de la roulette, Daniel ? L’as-tu revue ?

— Elle est partie, répond brièvement le jeune homme.

— Une belle fille, ma foi ! une vraie Diane. Comment sais-tu qu’elle est partie ?

— Oh ! par la liste des étrangers. J’y ai vu que miss Harleth n’était plus ici.