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Daniel qui vient de découvrir sa propre origine juive ! Il est le fils parfaitement légitime d’une cantatrice célèbre, l’Alcharisi, qui, en quittant le théâtre pour épouser le prince Halm-Eberstein, a confié l’enfant d’un premier mariage israélite à son plus fervent admirateur sir Hugo Mallinger, avec l’injonction de faire de lui un chrétien et un gentleman, afin qu’il échappe à l’opprobre qui pèse sur son peuple. Cet opprobre, par parenthèse, est, croyons-nous, imaginaire dans ce temps-ci, autant que peut être chimérique la résurrection de l’Exode.


III

Nous passerons vite sur cette partie du roman, qui est cependant celle dont l’auteur fait le plus de cas sans doute, car il y a enfermé son idée de prédilection et concentré un système.

L’entrevue qui a lieu à Gênes entre Daniel et sa mère si longtemps inconnue est d’ailleurs très pathétique ; elle nous fait connaître un type curieusement observé, celui de la femme de génie qui paye ce don funeste et divin par la privation des plus belles qualités de son sexe, par l’impuissance d’aimer ; mais nous demandons au lecteur la permission de ne pas fouiller avec Daniel Deronda le fameux coffre-fort que lui a laissé son aïeul maternel, un saint de l’ancienne loi, coffre-fort rempli de papiers précieux d’où jaillit soudain la lumière qui éclaire la voie du jeune homme. Jusque-là sa sensibilité trop vive et dispersée sur trop de choses diverses l’avait jeté dans des incertitudes où ne pouvait germer rien de vigoureux. Il avait des sentimens démocratiques en ce sens qu’il aimait les petits, et cependant ses habitudes et ses goûts étaient d’un conservateur. Tout en imaginant des réformes politiques, sociales et religieuses, il répugnait à se séparer de formes sanctionnées par les siècles. Les causes persécutées l’attiraient surtout, et il lui eût suffi d’assister au martyre d’un adversaire pour passer de son côté. Qu’est-ce qui lui imposera une ligne de conduite nettement définie ? comment ses énergies errantes se rassembleront-elles de façon à le défendre contre cette analyse stérile de toutes les grandes questions humaines qui paralysent aujourd’hui tant d’âmes ? Un événement survient, une inspiration imprévue. Tout en recherchant les parens de Mirah, il fait connaissance avec la synagogue, avec le club judaïque, avec le voyant Mordicaï, qui devine en lui un frère et qui lui lègue le devoir de conduire Israël aux destinées promises. Jamais mission moins sympathique ne rendit incompréhensible et comme étranger au commun des lecteurs un héros attachant jusque-là. Nous doutons même que les philosophes et les penseurs juifs, à qui seuls sans doute sont dédiés ces trop