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a voulu le sauver, elle a risqué pour cela sa propre vie, mais toujours son cœur criait en elle : Meurs ! — Et il est mort,… c’en est fait !

Sa passion pour Deronda se trahit dans le récit rapide, incohérent, qu’elle lui fait de ses souffrances et de son crime d’intention ; elle le conjure de ne pas l’abandonner, elle s’attache à lui éperdue, à demi folle, et, presque aussi ému qu’elle-même, il promet tout ce qu’elle veut ; il s’engage trop peut-être, car l’essentiel est d’arracher au désespoir cette malheureuse qui ne croit qu’en lui seul. Il la calme, il la plaint, il l’exhorte. Sans la rassurer trop, — car à ses yeux elle est coupable, — il lui dit doucement : — Vous pouvez devenir meilleure que vous ne l’avez jamais été ;… votre vie future peut être une bénédiction pour les autres. Aucun mal n’est irréparable, sauf le mal que nous aimons, auquel nous ne souhaitons pas d’échapper. Faites effort…

— Je ferai tout ce que vous voudrez, mais il faudra que vous soyez là…

Sans doute une vague prévision de bonheur possible se mêle encore à son agonie morale, et pour la lui retirer, pour lui dire après cette explication déchirante qu’il appartient à Mirah, sa fiancée, et au dieu jaloux d’Israël, Daniel est obligé d’appeler à lui un courage presque surhumain.

Le châtiment de Gwendoline est complet ; elle n’a pas même la consolation de pouvoir se montrer généreuse en sacrifiant la fortune des Grandcourt, qui lui est devenue odieuse, aux enfans de Lydia Glasher, car par testament son mari a légué tout ce qu’il possédait à son fils naturel, en cas qu’il n’eût jamais de fils légitime. La veuve n’a pour sa part que cette terre de Gadsmere, pleine pour elle d’affreux souvenirs, et un revenu que son orgueil lui crie de refuser, mais que Deronda, qu’elle a chargé de régler son expiation, la condamne à prendre pour l’employer en bonnes œuvres cachées.

Ne nous apitoyons pas trop sur Gwendoline. Rex Gascoigne est revenu : son amour pour sa belle cousine n’a pas été une fantaisie d’adolescent, il est resté un de ces attachemens tenaces qui s’emparent plus souvent qu’on ne croit du jeune Anglais au sortir de l’école pour le suivre aux Indes, au bout du monde, et ne plus le quitter en dépit des vicissitudes d’une vie active ; ces amours-là survivent même à l’espérance ; mais de nouveau l’espérance est permise à Rex et aussi au lecteur compatissant, qui peut compter que la dangereuse sirène de Leubronn et d’Offendene deviendra tôt ou tard une heureuse épouse, une mère de famille exemplaire. Elle a écrit à Daniel le jour du mariage de celui-ci avec Mirah : « Je me rappellerai toujours vos paroles, je vivrai pour compter parmi les meilleures d’entre les femmes. J’ignore encore comment cela pourra se faire, mais cela sera parce que vous m’avez secourue. »