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Samarcande investissait alors la malheureuse ville de Boghar avec une nombreuse armée. Le roi de Boghar tenait pendant ce temps la campagne contre un de ses parens ; le désordre régnait partout, les caravanes de l’Inde et de la Perse venaient d’être détruites malgré leurs saufs-conduits ; il n’y avait plus de sécurité en Orient que sur les terres d’Ivan IV. Jenkinson emmenait avec lui deux ambassadeurs, l’ambassadeur du roi de Boghar et celui du roi de Balkh ; ces envoyés se rendaient auprès de l’empereur de Russie. La caravane devait d’ailleurs recruter d’autres ambassadeurs sur sa route. A Ourgendj, à Selluzuri, le sultan, les frères du sultan tinrent à faire parvenir par leurs propres émissaires les réponses qu’exigeaient les lettres impériales confiées à Jenkinson.

Les difficultés, les privations, les souffrances furent-elles moindres au retour qu’elles ne l’avaient été dans la première traversée du désert ? Il n’est guère permis de le croire. Jenkinson cependant n’en dit pas un mot. Se reprocherait-il d’avoir déjà trop insisté sur ce sujet ? La chevauchée vaut bien cependant la peine qu’on la prenne au sérieux ; mais il ne s’agit pas d’instruire la compagnie des dangers qu’ont courus ses employés, il faut surtout lui bien faire comprendre les risques auxquels seront exposées ses marchandises. Ce but atteint, le reste est peu de chose ; on le gardera pour les récits du foyer. Le 22 avril 1559, la caravane retrouve sur les bords de la mer Caspienne la barque qu’un an auparavant elle y avait laissée. Elle retrouva la arque, mais non pas le câble, l’ancre, la chaloupe, la voile ; tout cela depuis longtemps avait disparu. Les Anglais apportaient heureusement du chanvre et de la toile de coton sur leurs chameaux. Ils se hâtèrent de fabriquer avec leur chanvre un gréement complet et un câble, avec leur toile de coton une voile. Les jonques chinoises n’ont que des ancres de bois ; Jenkinson essaie d’en confectionner une pour la barque en prenant à terre une roue de charrette. Ainsi équipés, les Anglais étaient sur le point de dire adieu au rivage quand une autre barque chargée de Tartares vint aborder au point qu’ils s’apprêtaient eux-mêmes à quitter. Ce bateau avait deux ancres. Les voyageurs obtinrent qu’on leur en cédât une.

Jenkinson ne s’était pas chargé de conduire sur la mer Caspienne toute la caravane dont il avait pendant un mois et demi partagé la fortune. Il ne restait plus avec les Anglais que six ambassadeurs et vingt-cinq esclaves russes rendus à la liberté par la munificence du sultan d’Ourgendj, Le capitaine du Primerose se faisait fort de commander et de diriger la barque qui devait à son industrie une nouvelle voile et un nouveau gréement ; les deux Johnson lui tiendraient lieu d’officiers mariniers ; dans les vingt-cinq Russes il trouverait tout un équipage assez docile et assez vigoureux pour manier la rame au besoin. Quand aux ambassadeurs, ils avaient été confiés