Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/881

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’espoir d’être introduit en présence de l’empereur. » Jenkinson aima mieux s’abstenir de paraître à la fête et s’exposer à mécontenter le tsar que manquer à la dignité de sa mission.

Le lendemain, il apprenait « par un gentilhomme » que l’empereur avait daigné remarquer son absence. Sur-le-champ, il fait dresser une supplique. Dans cette supplique, Jenkinson expose le motif de sa venue ; il fait aussi connaître à l’empereur la conduite de son secrétaire. « Je supplie sa grâce, disait-il, de vouloir bien recevoir les lettres de son altesse avec autant d’honneur et d’amitié que notre souveraine la reine Marie en a mis à recevoir les lettres confiées à Osip Nepéi. Sinon, que l’empereur veuille bien me donner congé, car je ne remettrai mes lettres qu’en ses mains. » Quels doutes, quels ombrages se cachaient donc sous cette apparente question d’étiquette ? Ivan IV avait-il appris, soit par les Anséates, soit par les Flamands de Philippe II, que dans la plupart des états où dominait l’influence de Rome on contestait encore à la reine d’Angleterre la légitimité de sa naissance et celle de son pouvoir ? Appréhendait-il, s’il ne prenait le temps de faire examiner mûrement les lettres de créance qu’on lui annonçait, de se commettre, sans y avoir pris garde, avec quelque usurpation ? Quoi qu’il en ait pu être, Jenkinson quand il se réclamait auprès d’Ivan IV du nom déjà connu de la reine Marie, obéissait à une inspiration heureuse. Les solutions de continuité n’entrent pas aisément dans l’esprit des princes qui font remonter l’origine de leur puissance à une longue suite non interrompue d’ancêtres. L’envoyé d’Elisabeth reçut l’ordre de se présenter devant le tsar. Le jour même, il était convié à un dîner de grand gala. Peu de temps après, encouragé par un favorable accueil, il osait demander s’il lui serait permis de traverser les domaines de l’empereur pour se rendre en Perse. La réponse trompa son attente, « Il ne fallait pas songer pour le moment à un pareil voyage. L’empereur avait l’intention d’envoyer par le Volga et la mer Caspienne une armée en Circassie. Les routes de ce côté deviendraient peu sûres. Si Jenkinson venait à périr, ce serait un déshonneur pour sa grâce, » Anthony était trop pénétrant pour ne pas reconnaître dans le motif qu’on lui alléguait une grossière défaite. Il dissimula néanmoins son désappointement et passa l’hiver de l’année 1564 à Moscou. La majeure partie des kersies qu’il avait emportés de Londres s’était facilement vendue en Russie ; il n’avait plus rien à importer en Perse. Aussi, quand la saison fut venue de rentrer en Angleterre, s’empressa-t-il de solliciter ses passeports et la faculté d’avoir des chevaux de poste pour son argent. » Le tout lui fut, sans la moindre difficulté, accordé.

Jenkinson achevait ses dernières dispositions de départ quand Osip Nepéi vint chez lui. « Ne partez pas encore, lui dit-il,