Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/950

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

neutre. Que la Turquie voie son intérêt dans l’extension de la durée de l’armistice, qu’elle y trouve l’avantage de n’avoir pas à poursuivre une campagne d’hiver, de se donner le temps de calmer les passions musulmanes, d’entreprendre la réalisation de grandes réformes intérieures, rien n’est plus évident. C’est peut-être utile aux Turcs, c’est certainement aussi la condition la plus favorable pour une négociation sérieuse ; mais faudrait-il donc repousser ce qui est favorable à la paix par cela seul que les Turcs y trouvent leur compte ? C’est en vérité un jeu assez puéril de la part des Serbes d’avoir l’air de se rattacher au délai de six semaines mis en avant par les cabinets depuis qu’ils ont appris que les Turcs proposaient six mois, et il serait trop étrange que la diplomatie se prêtât aux calculs ou aux subterfuges imaginés par ceux qui ne voient dans la trêve qu’un moyen d’étendre, d’aggraver la guerre, de compromettre et d’entraîner l’Europe tout entière. La vérité est qu’en dehors de toute considération secondaire l’armistice de six mois est ce qu’il y a de préférable, parce que c’est plus sûrement le prélude et le gage d’une pacification définitive.

Voilà le premier fait. Il y a un second élément de la question, et sans aucun doute le plus grave, le plus difficile à dégager et à fixer, c’est le plan de réformation qui doit être le prix de l’intervention de l’Europe. L’Angleterre a proposé à Constantinople, avec l’appui des autres cabinets, ce qu’on est convenu d’appeler « l’autonomie administrative » pour l’Herzégovine, la Bosnie et la Bulgarie. La Porte, sans décliner précisément la proposition européenne, a répondu ici encore par un projet beaucoup plus vaste qui vient d’être publié, qui embrasse l’empire tout entier, qui tendrait à créer en Turquie une sorte de régime représentatif, une hiérarchie de conseils composés à la fois de chrétiens et de musulmans. Eh bien ! franchement, c’est la Turquie qui est encore dans la vérité, qui se montre au moins plus rationnelle, en instituant comme un droit pour tous ce qu’on veut obtenir d’elle comme un privilège en faveur de quelques-uns. Ces réformes qu’on réclame pour l’Herzégovine, la Bosnie et la Bulgarie, pourquoi ne les demanderait-on pas en effet pour d’autres provinces telles que l’Épire, la Thessalie, peuplées de Grecs, pour qui le régime turc n’a point été moins dur jusqu’ici que pour les Slaves bulgares et bosniaques ? Puisque l’Europe s’en mêle, elle doit vouloir mettre la paix partout, alléger les misères et les tyrannies pour tous, venir au secours des Grecs comme des Slaves. La Porte offre un moyen par son système, qui est bien moins une contradiction qu’une extension de celui qu’on a proposé. Reste toujours l’exécution. Ah ! oui, c’est là justement la question, et c’est même l’unique question depuis qu’on voit se succéder à Constantinople des firmans, des hait, des iradé, promettant périodiquement tous les bienfaits ; mais c’est une raison de plus pour que l’Europe, cessant de s’égarer dans des combinaisons qui