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le même état qu’à l’époque où elles émergèrent du fond de l’Océan, sous lequel elles s’étalent déposées. Il n’y avait pas surgi de volcans pour les ébranler; les débris fossiles en sortaient aussi frais que s’ils n’avaient pas été enfouis depuis des milliers de siècles. Puis, — ce n’était pas un médiocre attrait pour des géologues entreprenans, — peu de personnes avaient encore visité cette vaste région. Murchison et de Verneuil entrèrent donc en Russie au mois de juin 1840, encouragés d’ailleurs par l’accueil bienveillant que leur avait promis le gouvernement impérial. Dans une course rapide, ils allèrent de Saint-Pétersbourg à Archangel, d’Archangel à Nijni-Novgorod et Moscou. D’ordinaire le géologue va pas à pas, sondant le sol, recueillant des échantillons partout où le terrain présente quelque fissure. Il n’en pouvait être de même en Russie, où la superficie plate et monotone offre presque toujours la même alluvion. C’est, on le sait, le caractère spécial de cette contrée que les formations géologiques y sont peu nombreuses et s’espacent plus qu’ailleurs en Europe. En France, par exemple, sans sortir du bassin de la Seine, il y a plus de variété que d’un bout à l’autre des possessions du tsar. Observons, en passant, que cette uniformité de sol explique presqu’à elle seule pourquoi les habitans des provinces russes ont moins progressé que ceux de l’Europe occidentale. Il faut en effet, pour que la civilisation se développe, que l’homme rencontre dans un espace borné l’ensemble de productions diverses que ne peut contenir une couche unique de la surface terrestre.

Ce voyage rapide n’avait permis aux deux géologues que de prendre une esquisse du terrain, sans compter que la zone la plus intéressante de l’empire russe, celle des monts Ourals, était restée en dehors de leur itinéraire. Aussi repartaient-ils l’année d’après pour les bords de la Neva. Cette fois ils y étaient presque investis d’une mission officielle. L’empereur Nicolas les remerciait lui-même de venir mettre leur savoir au service de ses sujets. S’étant dirigés de Moscou vers Kazan et Perm, ils explorèrent aux environs de cette dernière ville un terrain plus ancien que les strates carbonifères, plus récent néanmoins que le dévonien, et auquel est resté depuis cette époque le nom de terrain permien. Ensuite ils franchirent en plusieurs endroits la chaîne de l’Oural, si intéressante pour leurs études en raison des exploitations minières qui s’y trouvaient déjà. Ils traversèrent, sans pouvoir en expliquer l’origine, la fameuse région de terre noire à laquelle la Russie centrale doit sa prodigieuse fertilité. Enfin ils rentrèrent à Saint-Pétersbourg, ayant parcouru 20,000 verstes en sept mois. Murchison, qui se mettait plus volontiers en avant que son compagnon de route, y avait gagné une renommée européenne, ce qui était assez mérité du reste, car