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d’insécurité qui en serait la suite. A toute heure aussi, des étrangers pourraient interrompre et supprimer le commerce immense qui passe par nos ports et causer des maux qui se feraient sentir jusque bien loin du littoral. Enfin les guerres politiques, comme celles de Crimée et d’Italie, impossibles sans le concours d’une flotte, nous seraient interdites. Je sais bien que l’on répond à cela que, si les guerres politiques devenaient impossibles, ce serait un grand bonheur. Oui, assurément, mais à la condition qu’elles fussent également interdites à tous les états, car si nous ne pouvons plus y prendre part, qui nous garantit qu’elles ne seront pas faites sans nous et contre nous? Respectera-t-on le manchot? Incontestablement non !

Tout cela est de la dernière évidence pour quiconque sait et réfléchit. Aussi, sauf quelques écrivains outranciers, spéculateurs en ignorance, personne ne parle de supprimer la marine; seulement on trouve qu’elle coûte trop cher, et on se laisse entraîner sur son compte à]une illusion malheureusement naturelle depuis nos revers, illusion dont il importe de se défendre. D’ici longtemps, dit-on, la France ne rencontrera d’ennemis que sur terre, et dès lors les services que peut rendre la force navale sont trop secondaires pour justifier les grands sacrifices que nécessiterait son maintien sur le pied où elle était avant la guerre de 1870. Mais sommes-nous bien certains de ce rôle secondaire qu’on est si empressé de lui assigner? Qui avait entendu parler d’une marine autrichienne avant 1866? Il y en avait une pourtant, créée sous la prévoyante inspiration du malheureux prince que nous avons laissé fusiller à Queretaro. Sans elle, sans les vaisseaux de Tegethoff, l’Autriche aurait perdu ses provinces illyriennes, et peut-être plus encore. De quel secours la flotte de Kornilef n’a-t-elle pas été pour la défense de Sébastopol! En Amérique, pendant la guerre de sécession, au Brésil, lorsqu’on a lutté avec la dictature paraguayenne, qu’aurait-on pu faire sans le concours des forces navales? Certes la création et le maintien de toutes ces forces a coûté beaucoup d’argent, mais en somme cela a été de l’argent bien placé. C’est du reste l’opinion du monde entier, car nous voyons tous les peuples aujourd’hui s’efforcer à l’envi de développer et perfectionner leur marine. Anglais, Autrichiens, Russes, Italiens, Allemands, Turcs même, tout le monde est à l’œuvre et se hâte comme si un instinct général avertissait que le jour n’est pas loin où marins et vaisseaux seront appelés à rendre de signalés services, « Nous avons reconnu depuis longtemps, disait l’an dernier un organe semi-officiel du gouvernement allemand, le Nord-Deutsche Zeitung, le fait que puissance et influence, non-moins que science et richesse, dépendent dans une