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pieds? L’histoire en est assez curieuse et prouve que la gloire vient aisément à ceux qui sont déjà en évidence. En 1841, comme il revenait de son excursion dans l’Oural, le comte Strzelecki, qui avait parcouru la Nouvelle-Galles du sud, lui montre des échantillons de roches rapportés de cette contrée lointaine. Murchison est frappé de l’analogie entre ces roches et celles qu’il avait vues sur les confins de la Sibérie; aussi s’empresse-t-il d’annoncer non-seulement à ses amis dans la conversation, mais encore dans des discours publics ou dans des mémoires imprimés, qu’il y a certainement de l’or dans les montagnes de l’Australie. Bien plus, il engage les mineurs de la Cornouailles à se rendre dans cette colonie. Cela n’était guère sérieux, puisque personne ne connaissait alors les conditions dans lesquelles se présentent les gisemens aurifères. Néanmoins on se rappela cette prédiction quelques années plus tard lorsque furent découverts les merveilleux champs d’or de Victoria. Murchison passa bien innocemment pour avoir été l’inventeur de ces mines fécondes.

En somme, il était si bien considéré comme le chef des géologues de la Grande-Bretagne, qu’à la mort de sir Henry de la Bêche en 1855, on lui offrit la direction du Geological Survey. Il avait alors soixante-trois ans, l’âge de la retraite pour beaucoup d’autres. Depuis qu’il avait quitté l’armée, il avait vécu d’une vie indépendante, consacrant ses étés à des excursions lointaines, ses hivers aux sociétés savantes dont il était un laborieux collaborateur, ou bien aux relations mondaines qu’il cultivait avec assiduité. Nul homme n’avait une existence plus remplie, mieux employée. Était-ce le moment de se donner l’embarras d’un emploi officiel dont ses habitudes errantes ne devaient pas s’accorder? On lui persuada qu’aucun autre n’était en situation d’aussi bien assurer le sort de cette institution. Les commencemens du Geological Survey avaient été modestes; l’œuvre s’était étendue peu à peu, mais le public ne l’avait pas encore appréciée comme elle méritait de l’être, en sorte qu’il était nécessaire qu’elle fût représentée au dehors par un chef ayant une grande influence personnelle. Dès 1832, sir Henry de la Bêche avait offert d’indiquer par des teintes en couleur la nature géologique des terrains sur les feuilles déjà publiées de la grande carte d’Angleterre que dressait le Board of ordnance. Cette carte est, on le sait, analogue à celle qui a été levée chez nous par les officiers d’état-major. Peu de temps après. De la Bêche voulut étendre ses opérations, créer un musée minéralogique, un enseignement technique, en un mot fonder un établissement dans le genre de l’École des mines de Paris. Il n’y avait rien de semblable dans les îles britanniques, où l’industrie minière est pourtant une