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Soliman et les siens n’auraient pu être renseignés que par quelque renégat ou par Charles-Quint, lequel aurait sûrement exploité ce grief, s’il n’eût fait lui-même cent fois pis. Durant tout le XVIe siècle, c’est la diatribe intitulée : De moribiis, conditionibus et nequitia Turcorum, imprimée pour la première fois vers 1478, et souvent rééditée depuis, qui s’imposa tyranniquement à l’opinion. Postel, le célèbre orientaliste, qui avait voyagé dans le Levant et résidé à Constantinople, publia à Poitiers, en 1559, sa République des Turcs, avec dédicace au « roy dauphin » François II. Contrairement à ses habitudes et à celles de tout le monde savant, il l’avait écrite en français, afin, en quelque sorte, de mettre à l’ordre du jour la destruction des Turcs : « Donc estant du tout nécessaire de chasser la ditte race ismaélique... il faut qu’on y procède aiant vraiment parfaite connoissance tant de son estre ou nature temporelle, comme de la nature spirituelle ou religieuse... Ce n’est donc assés d’avoir exposé aux chrestiens et principalement en la langue des roys et peuples très chrestiens cette description : pour donner, en ayant vraye cognoissance de l’ennemy, le moien de lui résister, ainsi que j’ai conclud au chapitre second de la considération intitulé : Pour quoy j’ay escrit en françoys[1]. »

A la grande satisfaction de Postel, le pape, l’Espagne et Venise avaient formé une ligue contre les Turcs. La bataille de Lépante avait anéanti la marine ottomane. Le public français, qui était obstinément contraire aux infidèles, voulait être informé régulièrement des suites de cette grande journée. Il lui fallait « d’amples discours et advis de l’estat et assiette des armées chrestiennes et turquesques et des rencontres et escarmouches. » C’est un éditeur de Paris, Nicolas Chesneau ou Guillaume Nyverd, qui les lui procurait, grâce à un correspondant anonyme, Français vraisemblablement, « Le tout se réduira, disait un de ces advis, sur le printemps, qu’on espère aller voir Constantinople, qui sera chose facile à celui qui est maître de la mer[2]. » Au bas de tous ses advis, Nyverd étalait l’approbation et le privilège du roi. Aussi bien qui aurait pu douter que le roi Charles IX, qui venait d’exterminer chez lui les hérétiques dans la nuit de la Saint-Barthélémy, ne vît de bon œil la destruction des « mahomédistes? » Qui eût pu douter qu’il ne poussât à la réalisation des prétendus songes du sultan Selim II et des prédictions sinistres de ses derviches ? Et pourtant, il est bien avéré que c’est la cour de France qui a mis obstacle aux

  1. De la République des Turcs, troisième partie, p. 90.
  2. Nombre de ces advis, réunis en un volume par les soins de Le Tellier, archevêque de Reims, se trouvent à la Bibliothèque Sainte-Geneviève (à la réserve, avec la marque G. 143, in-8o).